Créer enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière

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Créer enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière

«Être d’avant-garde, cest marcher au pas de la réalité.» [Internationale situationiste no 8] La critique radicale du monde moderne doit avoir maintenant pour objet et pour objectif la totalité. Elle doit porter indissolublement sur son passé réel, sur ce quil est effectivement, et sur les perspectives de sa transformation. Cest que, pour pouvoir dire toute la vérité du monde actuel et, a fortiori, pour formuler le projet de sa subversion totale, il faut être capable de révéler toute son histoire cachée, cest-à-dire regarder dune façon totalement démystifiée et fondamentalement critique, lhistoire de tout le mouvement révolutionnaire international, inaugurée voilà plus dun siècle par le prolétariat des pays dOccident, ses «échecs» et ses «victoires». «Ce mouvement contre lensemble de lorganisation du vieux monde est depuis longtemps fini» [Internationale situationiste no 7] et a échoué. Sa dernière manifestation historique étant la défaite de la révolution prolétarienne en Espagne (à Barcelone, en mai 1937). Cependant, ses «échecs» officiels, comme ses «victoires» officielles, doivent être jugés à la lumière de leurs prolongements, et leurs vérités rétablies. Ainsi, nous pouvons affirmer qu’«il y a des défaites qui sont des victoires et des victoires plus honteuses que des défaites» (Karl Liebknecht à la veille de son assassinat). La première grande «défaite» du pouvoir prolétarien, la Commune de Paris, est en réalité sa première grande victoire car, pour la première fois, le Prolétariat primitif a affirmé sa capacité historique de diriger dune façon libre tous les aspects de la vie sociale. De même que sa première grande «victoire», la révolution bolchevik, nest en définitive que sa défaite la plus lourde de conséquences. Le triomphe de lordre bolchevik coïncide avec le mouvement de contre-révolution internationale qui commença avec lécrasement des Spartakistes par la «Social-démocratie» allemande. Leur triomphe commun était plus profond que leur opposition apparente, et cet ordre bolchevik nétait, en définitive, quun déguisement nouveau et une figure particulière de lordre ancien. Les résultats de la contre-révolution russe furent, à lintérieur, létablissement et le développement dun nouveau mode dexploitation, le capitalisme bureaucratique d’État et, à lextérieur, la multiplication des sections de lInternationale dite communiste, succursales destinées à le défendre et à répandre son modèle. Le capitalisme, sous ses différentes variantes bureaucratiques et bourgeoises, florissait de nouveau, sur les cadavres des marins de Kronstadt et des paysans dUkraine, des ouvriers de Berlin, Kiel, Turin, Shanghaï, et plus tard de Barcelone.

La IIIe Internationale, apparemment créée par les Bolcheviks pour lutter contre les débris de la social-démocratie réformiste de la IIe Internationale, et grouper l
avant-garde prolétarienne dans les «partis communistes révolutionnaires», était trop liée à ses créateurs et à leurs intérêts pour pouvoir réaliser, où que ce soit, la véritable révolution socialiste. En fait, la IIe Internationale était la vérité de la IIIe. Très tôt, le modèle russe simposa aux organisations ouvrières dOccident, et leurs évolutions furent une seule et même chose. À la dictature totalitaire de la Bureaucratie, nouvelle classe dirigeante, sur le prolétariat russe, correspondait au sein de ces organisations la domination dune couche de bureaucrates politiques et syndicaux sur la grande masse des ouvriers, dont les intérêts sont devenus franchement contradictoires avec les siens. Le monstre stalinien hantait la conscience ouvrière, tandis que le Capitalisme, en voie de bureaucratisation et de surdéveloppement, résolvait ses crises internes et affirmait tout fièrement sa nouvelle victoire, quil prétend permanente. Une même forme sociale, apparemment divergente et variée, sempare du monde, et les principes du vieux monde continuent à gouverner notre monde moderne. Les morts hantent encore les cerveaux des vivants.

Au sein de ce monde, des organisations prétendument révolutionnaires ne font que le combattre apparemment, sur son terrain propre, à travers les plus grandes mystifications. Toutes se réclament d
idéologies plus ou moins pétrifiées, et ne font en définitive que participer à la consolidation de lordre dominant. Les syndicats et les partis politiques forgés par la classe ouvrière pour sa propre émancipation sont devenus de simples régulateurs du système, propriété privée de dirigeants qui travaillent à leur émancipation particulière, et trouvent un statut dans la classe dirigeante dune société quils ne pensent jamais mettre en question. Le programme réel de ces syndicats et partis ne fait que reprendre platement la phraséologie «révolutionnaire» et appliquer en fait les mots dordre du réformisme le plus édulcoré, puisque le capitalisme lui-même se fait officiellement réformiste. Là où ils ont pu prendre le pouvoir — dans des pays plus arriérés que la Russie — ce nétait que pour reproduire le modèle stalinien du totalitarisme contre-révolutionnaire [Leur réalisation effective, cest tendre à industrialiser le pays par la classique accumulation primitive aux dépens de la paysannerie, accélérée par la terreur bureaucratique]. Ailleurs, ils sont le complément statique et nécessaire [Depuis 45 ans, en France, le Parti dit communiste na pas fait un pas vers la prise du pouvoir ; il en est de même dans tous les pays avancés où nest pas venue lArmée dite rouge] à lautorégulation du Capitalisme bureaucratisé ; la contradiction indispensable au maintien de son humanisme policier. Dautre part, ils restent, vis-à-vis des masses ouvrières, les garants indéfectibles et les défenseurs inconditionnels de la contre-révolution bureaucratique, les instruments dociles de sa politique étrangère. Dans un monde fondamentalement mensonger, ils sont les porteurs du mensonge le plus radical, et travaillent à la pérennité de la dictature universelle de l’Économie et de l’État. Comme laffirment les situationnistes, «un modèle social universellement dominant, qui tend à lautorégulation totalitaire, nest quapparemment combattu par de fausses contestations posées en permanence sur son propre terrain, illusions qui, au contraire, renforcent ce modèle. Le pseudo-socialisme bureaucratique nest que le plus grandiose de ces déguisements du vieux monde hiérarchique du travail aliéné.» [Luttes de classes en Algérie, tract repris dans Internationale situationniste no 10] Le syndicalisme étudiant nest dans tout cela que la caricature dune caricature, la répétition burlesque et inutile dun syndicalisme dégénéré.

La dénonciation théorique et pratique du stalinisme sous toutes ses formes doit être la banalité de base de toutes les futures organisations révolutionnaires. Il est clair qu
en France, par exemple, où le retard économique recule encore la conscience de la crise, le mouvement révolutionnaire ne pourra renaître que sur les ruines du stalinisme anéanti. La destruction du stalinisme doit devenir le delenda Carthago de la dernière révolution de la préhistoire.

Celle-ci doit elle-même rompre, définitivement, avec sa propre préhistoire, et tirer toute sa poésie de l
avenir. Les «Bolcheviks ressuscités» qui jouent la farce du «militantisme» dans les différents groupuscules gauchistes, sont des relents du passé, et en aucune manière nannoncent lavenir. Épaves du grand naufrage de la «révolution trahie», ils se présentent comme les fidèles tenants de lorthodoxie bolchevik : la défense de lU.R.S.S. est leur indépassable fidélité et leur scandaleuse démission.

Ils ne peuvent plus entretenir d
illusions que dans les fameux pays sous-développés [Sur leur rôle en Algérie, cf. Les luttes de classes en Algérie, Internationale situationniste no 10] où ils entérinent eux-mêmes le sous-développement théorique. De Partisans (organe des stalino-trotskismes réconciliés) à toutes les tendances et demi-tendances qui se disputent «Trotsky» à lintérieur et à lextérieur de la IVe Internationale, règne une même idéologie révolutionnariste, et une même incapacité pratique et théorique de comprendre les problèmes du monde moderne. Quarante années dhistoire contre-révolutionnaire les séparent de la Révolution. Ils ont tort parce quils ne sont plus en 1920 et, en 1920, ils avaient déjà tort. La dissolution du groupe «ultra-gauchiste» Socialisme ou Barbarie après sa division en deux fractions, «moderniste cardaniste» et «vieux marxiste» (de Pouvoir Ouvrier) prouve, sil en était besoin, quil ne peut y avoir de révolution hors du moderne, ni de pensée moderne hors de la critique révolutionnaire à réinventer [Internationale situationniste no 9]. Elle est significative en ce sens que toute séparation entre ces deux aspects retombe inévitablement soit dans le musée de la Préhistoire révolutionnaire achevée, soit dans la modernité du pouvoir, cest-à-dire dans la contre-révolution dominante : Voix ouvrière ou Arguments.

Quant aux divers groupuscules «anarchistes», ensemble prisonniers de cette appellation, ils ne possèdent rien d
autre que cette idéologie réduite à une simple étiquette. Lincroyable Monde Libertaire, évidemment rédigé par des étudiants, atteint le degré le plus fantastique de la confusion et de la bêtise. Ces gens-là tolèrent effectivement tout, puisquils se tolèrent les uns les autres.

La société dominante, qui se flatte de sa modernisation permanente, doit maintenant trouver à qui parler, c
est-à-dire à la négation modernisée quelle produit elle-même [Adresse aux révolutionnaires…, Internationale situationniste no 10] : «Laissons maintenant aux morts le soin denterrer leurs morts et de les pleurer.» Les démystifications pratiques du mouvement historique débarassent la conscience révolutionnaire des fantômes qui la hantaient ; la révolution de la vie quotidienne se trouve face à face avec les tâches immenses quelle doit accomplir. La révolution, comme la vie quelle annonce, est à réinventer. Si le projet révolutionnaire reste fondamentalement le même : labolition de la société de classes, cest que, nulle part, les conditions dans lesquelles il se forme nont été radicalement transformées. Il sagit de le reprendre avec un radicalisme et une cohérence accrus par lexpérience de la faillite de ses anciens porteurs, afin déviter que sa réalisation fragmentaire nentraîne une nouvelle division de la société.

La lutte entre le pouvoir et le nouveau prolétariat ne pouvant se faire que sur la totalité, le futur mouvement révolutionnaire doit abolir, en son sein, tout ce qui tend à reproduire les produits aliénés du système marchand [
Défini par la prédominance du travail-marchandise] : il doit en être, en même temps, la critique vivante et la négation qui porte en elle tous les éléments du dépassement possible. Comme la bien vu Lukács (mais pour lappliquer à un objet qui nen était pas digne : le parti bolchevik), lorganisation révolutionnaire est cette médiation nécessaire entre la théorie et la pratique, entre lhomme et lhistoire, entre la masse des travailleurs et le prolétariat constitué en classe. Les tendances et divergences «théoriques» doivent immédiatement se transformer en question dorganisation si elles veulent montrer la voie de leur réalisation. La question de lorganisation sera le jugement dernier du nouveau mouvement révolutionnaire, le tribunal devant lequel sera jugée la cohérence de son projet essentiel : la réalisation internationale du pouvoir absolu des Conseils ouvriers, tel quil a été esquissé par lexpérience des révolutions prolétariennes de ce siècle. Une telle organisation doit mettre en avant la critique radicale de tout ce qui fonde la société quelle combat, à savoir : la production marchande, lidéologie sous tous ses déguisements, lÉtat et les scissions quil impose.

La scission entre théorie et pratique a été le roc contre lequel a buté le vieux mouvement révolutionnaire. Seuls, les plus hauts moments des luttes prolétariennes ont dépassé cette scission pour retrouver leur vérité. Aucune organisation n
a encore sauté ce Rhodus. Lidéologie, si «révolutionnaire» quelle puisse être, est toujours au service des maîtres, le signal d’alarme qui désigne lennemi déguisé. Cest pourquoi la critique de lidéologie doit être, en dernière analyse, le problème central de lorganisation révolutionnaire. Seul, le monde aliéné produit le mensonge, et celui-ci ne saurait réapparaître à lintérieur de ce qui prétend porter la vérité sociale, sans que cette organisation ne se transforme elle-même en un mensonge de plus dans un monde fondamentalement mensonger.

L
organisation révolutionnaire qui projette de réaliser le pouvoir absolu des Conseils ouvriers doit être le milieu où sesquissent tous les aspects positifs de ce pouvoir. Aussi doit-elle mener une lutte à mort contre la théorie léniniste de lorganisation. La révolution de 1905 et lorganisation spontanée des travailleurs russes en Soviets était déjà une critique en actes [Après la critique théorique menée par Rosa Luxembourg] de cette théorie néfaste. Mais le mouvement bolchevik persistait à croire que la spontanéité ouvrière ne pouvait dépasser la conscience «trade-unioniste», et était incapable de saisir «la totalité». Ce qui revenait à décapiter le prolétariat pour permettre au parti de prendre la «tête» de la Révolution. On ne peut contester, aussi impitoyablement que la fait Lénine, la capacité historique du prolétariat de sémanciper par lui-même, sans contester sa capacité de gérer totalement la société future. Dans une telle perspective, le slogan «Tout le pouvoir aux Soviets» ne signifiait rien dautre que la conquête des Soviets par le Parti, linstauration de lÉtat du parti à la place de «lÉtat» dépérissant du prolétariat en armes.

C
est pourtant ce slogan quil faut reprendre radicalement et en le débarrassant des arrière-pensées bolcheviks. Le prolétariat ne peut sadonner au jeu de la révolution que pour gagner tout un monde, autrement il nest rien. La forme unique de son pouvoir, lautogestion généralisée, ne peut être partagée avec aucune autre force. Parce quil est la dissolution effective de tous les pouvoirs, il ne saurait tolérer aucune limitation (géographique ou autre) ; les compromis quil accepte se transforment immédiatement en compromissions, en démission. «Lautogestion doit être à la fois le moyen et la fin de la lutte actuelle. Elle est non seulement lenjeu de la lutte, mais sa forme adéquate. Elle est pour elle-même la matière quelle travaille et sa propre présupposition.» [Les luttes de classes en Algérie, Internationale situationniste no 10]

La critique unitaire du monde est la garantie de la cohérence et de la vérité de l
organisation révolutionnaire. Tolérer lexistence des systèmes doppression (parce quils portent la défroque «révolutionnaire», par exemple), dans un point du monde, cest reconnaître la légitimité de loppression. De même, si elle tolère laliénation dans un domaine de la vie sociale, elle reconnaît la fatalité de toutes les réifications. Il ne suffit pas dêtre pour le pouvoir abstrait des Conseils ouvriers, mais il faut en montrer la signification concrète : la suppression de la production marchande et donc du prolétariat. La logique de la marchandise est la rationalité première et ultime des sociétés actuelles, elle est la base de lautorégulation totalitaire de ces sociétés comparables à des puzzles dont les pièces, si dissemblables en apparence, sont en fait équivalentes. La réification marchande est lobstacle essentiel à une émancipation totale, à la construction libre de la vie. Dans le monde de la production marchande, la praxis ne se poursuit pas en fonction dune fin déterminée de façon autonome, mais sous les directives de puissances extérieures. Et si les lois économiques semblent devenir des lois naturelles dune espèce particulière, cest que leur puissance repose uniquement sur «l’absence de conscience de ceux qui y ont part».

Le principe de la production marchande, c
est la perte de soi dans la création chaotique et inconsciente dun monde qui échappe totalement à ses créateurs. Le noyau radicalement révolutionnaire de lautogestion généralisée, cest, au contraire, la direction consciente par tous de lensemble de la vie. Lautogestion de laliénation marchande ne ferait de tous les hommes que les programmateurs de leur propre survie : cest la quadrature du cercle. La tâche des Conseils ouvriers ne sera donc pas lautogestion du monde existant, mais sa transformation qualitative ininterrompue : le dépassement concret de la marchandise (en tant que gigantesque détour de la production de lhomme par lui-même).

Ce dépassement implique naturellement la suppression du travail et son remplacement par un nouveau type d
activité libre, donc labolition dune des scissions fondamentales de la société moderne, entre un travail de plus en plus réifié et des loisirs consommés passivement. Des groupuscules aujourdhui en liquéfaction comme S. ou B. ou P.O. [Socialisme ou Barbarie, Pouvoir Ouvrier, etc. Un groupe comme I.C.O., au contraire, en sinterdisant toute organisation et une théorie cohérente, est condamné à linexistence.], pourtant ralliés sur le mot dordre moderne du Pouvoir ouvrier, continuent à suivre, sur ce point central, le vieux mouvement ouvrier sur la voie du réformisme du travail et de son «humanisation». Cest au travail lui-même quil faut aujourdhui sen prendre. Loin dêtre une «utopie», sa suppression est la condition première du dépassement effectif de la société marchande, de labolition — dans la vie quotidienne de chacun — de la séparation entre le «temps libre» et le «temps de travail», secteurs complémentaires dune vie aliénée, où se projette indéfiniment la contradiction interne de la marchandise entre valeur dusage et valeur déchange. Et cest seulement au-delà de cette opposition que les hommes pourront faire de leur activité vitale un objet de leur volonté et de leur conscience, et se contempler eux-mêmes dans un monde qu’ils ont eux-mêmes créé. La démocratie des Conseils ouvriers est lénigme résolue de toutes les scissions actuelles. Elle rend «impossible tout ce qui existe en dehors des individus».

La domination consciente de l
histoire par les hommes qui la font, voilà tout le projet révolutionnaire. Lhistoire moderne, comme toute lhistoire passée, est le produit de la praxis sociale, le résultat — inconscient — de toutes les activités humaines. À lépoque de sa domination totalitaire, le capitalisme a produit sa nouvelle religion : le spectacle. Le spectacle est la réalisation terrestre de lidéologie. Jamais le monde na si bien marché sur la tête. «Et comme la “critique de la religion”, la critique du spectacle est aujourdhui la condition première de toute critique.» [Internationale situationniste no 9]

C
est que le problème de la révolution est historiquement posé à lhumanité. Laccumulation de plus en plus grandiose des moyens matériels et techniques na dégale que linsatisfaction de plus en plus profonde de tous. La bourgeoisie et son héritière à lEst, la bureaucratie, ne peuvent avoir le mode demploi de ce surdéveloppement qui sera la base de la poésie de lavenir, justement parce quelles travaillent, toutes les deux, au maintien d’un ordre ancien. Elles ont tout au plus le secret de son usage policier. Elles ne font quaccumuler le Capital et donc le prolétariat ; est prolétaire celui qui na aucun pouvoir sur lemploi de sa vie, et qui le sait. La chance historique du nouveau prolétariat est dêtre le seul héritier conséquent de la richesse sans valeur du monde bourgeois, à transformer et à dépasser dans le sens de lhomme total poursuivant lappropriation totale de la nature et de sa propre nature. Cette réalisation de la nature de lhomme ne peut avoir de sens que par la satisfaction sans bornes et la multiplication infinie des désirs réels que le spectacle refoule dans les zones lointaines de l’inconscient révolutionnaire, et quil nest capable de réaliser que fantastiquement dans le délire onirique de sa publicité. Cest que la réalisation effective des désirs réels, cest-à-dire labolition de tous les pseudo-besoins et désirs que le système crée quotidiennement pour perpétuer son pouvoir, ne peut se faire sans la suppression du spectacle marchand et son dépassement positif.

L
histoire moderne ne peut être libérée, et ses acquisitions innombrables librement utilisées, que par les forces quelle refoule : les travailleurs sans pouvoir sur les conditions, le sens et le produit de leurs activités. Comme le prolétariat était déjà, au XIXe siècle, lhéritier de la philosophie, il est en plus devenu lhéritier de lart moderne et de la première critique consciente de la vie quotidienne. Il ne peut se supprimer sans réaliser, en même temps, lart et la philosophie. Transformer le monde et changer la vie sont pour lui une seule et même chose, les mots dordre inséparables qui accompagneront sa suppression en tant que classe, la dissolution de la société présente en tant que règne de la nécessité, et laccession enfin possible au règne de la liberté. La critique radicale et la reconstruction libre de toutes les conduites et valeurs imposées par la réalité aliénée sont son programme maximum, et la créativité libérée dans la construction de tous les moments et événements de la vie est la seule poésie quil pourra reconnaître, la poésie faite par tous, le commencement de la fête révolutionnaire. Les révolutions prolétariennes seront des fêtes ou ne seront pas, car la vie quelles annoncent sera elle-même créée sous le signe de la fête. Le jeu est la rationalité ultime de cette fête, vivre sans temps mort et jouir sans entraves sont les seules règles quil pourra reconnaître.


Dossier Mai 68

Publié dans Debordiana

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