Rendre la honte plus honteuse encore en la livrant à la publicité
Dossier Mai 68
De la misère en milieu étudiantRendre la honte plus honteuse encore en la livrant à la publicitéNos buts et nos méthodes dans le scandale de Strasbourg
Il ne suffit pas que la pensée recherche sa réalisation,
il faut que la réalité recherche la pensée
Créer enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière
Rendre la honte plus honteuse encore en la livrant à la publicité
Nous pouvons affirmer, sans grand risque de nous tromper, que l’étudiant en France est, après le policier et le prêtre, l’être le plus universellement reprisé. Si les raisons pour lesquelles on le méprise sont souvent de fausses raisons qui relèvent de l’idéologie dominante, les raisons pour lesquelles il est effectivement méprisable et méprisé du point de vue de la critique révolutionnaire sont refoulées et inavouées. Les tenants de la fausse contestation savent pourtant les reconnaître, et s’y reconnaître. Ils inversent ce vrai mépris en une admiration complaisante. Ainsi l’impuissante intelligentsia de gauche (des Temps Modernes à L’Express) se pâme devant la prétendue «montée des étudiants», et les organisations bureaucratiques effectivement déclinantes (du parti dit communiste à l’U.N.E.F.) se disputent jalousement son appui «moral et matériel». Nous montrerons les raisons de cet intérêt pour les étudiants, et comment elles participent positivement à la réalité dominante du capitalisme surdéveloppé, et nous emploierons cette brochure à les dénoncer une à une : la désaliénation ne suit pas d’autre chemin que celui de l’aliénation.
Toutes les analyses et études entreprises sur le milieu étudiant ont, jusqu’ici, négligé l’essentiel. Jamais elles ne dépassent le point de vue des spécialisations universitaires (psychologie, sociologie, économie), et demeurent donc fondamentalement erronées. Toutes, elles commettent ce que Fourier appelait déjà une étourderie méthodique «puisqu’elle porte régulièrement sur les questions primordiales», en ignorant le point de vue total de la société moderne. Le fétichisme des faits masque la catégorie essentielle, et les détails font oublier la totalité. On dit tout de cette société, sauf ce qu’elle est effectivement : marchande et spectaculaire. Les sociologues Bourderon et Passedieu, dans leur enquête Les Héritiers : les étudiants et la culture restent désarmés devant les quelques vérités partielles qu’ils ont fini par prouver. Et, malgré toute leur volonté bonne, ils retombent dans la morale des professeurs, l’inévitable éthique kantienne d’une démocratisation réelle par une rationalisation réelle du système d’enseignement, c’est-à-dire de l’enseignement du système. Tandis que leurs disciples, les Kravetz [Kravetz (Marc) connut une certaine notoriété dans les milieux dirigeants de l’U.N.E.F. ; élégant parlementaire, il commit l’erreur de se risquer dans la «recherche theorique» : en 1964, publie dans Les Temps Modernes une apologie du syndicalisme étudiant qu’il dénonce l’année suivante dans le même periodique] se croient des milliers à se réveiller, compensant leur amertume petite-bureaucrate par le fatras d’une phraséologie révolutionnaire désuète.
La mise en spectacle [Il va de soi que nous employons ces concepts de spectacle, rôle, etc., au sens situationniste] de la réification sous le capitalisme moderne impose à chacun un rôle dans la passivité généralisée. L’étudiant n’échappe pas à cette loi. Il est un rôle provisoire, qui le prépare au rôle définitif qu’il assumera, en élément positif et conservateur, dans le fonctionnement du système marchand. Rien d’autre qu’une initiation.
Cette initiation retrouve, magiquement, toutes les caractéristiques de l’initiation mythique. Elle reste totalement coupée de la réalité historique, individuelle et sociale. L’étudiant est un être partagé entre un statut présent et un statut futur nettement tranchés, et dont la limite va être mécaniquement franchie. Sa conscience schizophrénique lui permet de s’isoler dans une «société d’initiation», méconnaît son avenir et s’enchante de l’unité mystique que lui offre un présent à l’abri de l’histoire. Le ressort du renversement de la vérité officielle, c’est-à-dire économique, est tellement simple à démasquer : la réalité étudiante est dure à regarder en face. Dans une «société d’abondance», le statut actuel de l’étudiant est l’extrême pauvreté. Originaires à plus de 80% des couches dont le revenu est supérieur à celui d’un ouvrier, 90% d’entre eux disposent d’un revenu inférieur à celui du plus simple salarié. La misère de l’étudiant reste en deçà de la misère de la société du spectacle, de la nouvelle misère du nouveau prolétariat. En un temps où une partie croissante de la jeunesse s’affranchit de plus en plus des préjugés moraux et de l’autorité familiale pour entrer au plus tôt dans les relations d’exploitation ouverte, l’étudiant se maintient à tous les niveaux dans une «minorité prolongée», irresponsable et docile. Si sa crise juvénile tardive l’oppose quelque peu à sa famille, il accepte sans mal d’être traité en enfant dans les diverses institutions qui régissent sa vie quotidienne [Quand on lui chie pas dans la gueule, on lui pisse au cul].
La colonisation des divers secteurs de la pratique sociale ne fait que trouver dans le monde étudiant son expression la plus criante. Le transfert sur les étudiants de toute la mauvaise conscience sociale masque la misère et la servitude de tous.
Mais les raisons qui fondent notre mépris pour l’étudiant sont d’un tout autre ordre. Elles ne concernent pas seulement sa misère réelle mais sa complaisance envers toutes les misères, sa propension malsaine à consommer béatement de l’aliénation, dans l’espoir, devant le manque d’intérêt général, d’intéresser à son manque particulier. Les exigences du capitalisme moderne font que la majeure partie des étudiants seront tout simplement de petits cadres (c’est-à-dire l’équivalent de ce qu’était au XIXe siècle la fonction d’ouvrier qualifié [Mais sans la conscience révolutionnaire ; l’ouvrier n’avait pas l’illusion de la promotion]). Devant le caractère misérable, facile à pressentir, de cet avenir plus ou moins proche qui le «dédommagera» de la honteuse misère du présent, l’étudiant préfère se tourner vers son présent et le décorer de prestiges illusoires. La compensation même est trop lamentable pour qu’on s’y attache ; les lendemains ne chanteront pas et baigneront fatalement dans la médiocrité. C’est pourquoi il se réfugie dans un présent irréellement vécu.
Esclave stoïcien, l’étudiant se croit d’autant plus libre que toutes les chaînes de l’autorité le lient. Comme sa nouvelle famille, l’Université, il se prend pour l’être social le plus «autonome» alors qu’il relève directement et conjointement des deux systèmes les plus puissants de l’autorité sociale : la famille et l’État. Il est leur enfant rangé et reconnaissant. Suivant la même logique de l’enfant soumis, il participe à toutes les valeurs et mystifications du système, et les concentre en lui. Ce qui était illusions imposées aux employés devient idéologie intériorisée et véhiculée par la masse des futurs petits cadres.
Si la misère sociale ancienne a produit les systèmes de compensation les plus grandioses de l’histoire (les religions), la misère marginale étudiante n’a trouvé de consolation que dans les images les plus éculées de la société dominante, la répétition burlesque de tous ses produits aliénés.
L’étudiant français, en sa qualité d’être idéologique, arrive trop tard à tout. Toutes les valeurs et illusions qui font la fierté de son monde fermé sont déjà condamnées en tant qu’illusions insoutenables, depuis longtemps ridiculisées par l’histoire.
Récoltant un peu du prestige en miettes de l’Université, l’étudiant est encore content d’être étudiant. Trop tard. L’enseignement mécanique et spécialisé qu’il reçoit est aussi profondément dégradé (par rapport à l’ancien niveau de la culture générale bourgeoise [Nous ne parlons pas de celle de l’École normale supérieure ou des Sorboniqueurs, mais de celle des Encyclopédistes ou de Hegel]) que son propre niveau intellectuel au moment où il y accède, du seul fait que la réalité qui domine tout cela, le système économique, réclame une fabrication massive d’étudiants incultes et incapables de penser. Que l’Université soit devenue une organisation — institutionnelle — de l’ignorance, que la «haute culture» elle-même se dissolve au rythme de la production en série des professeurs, que tous ces professeurs soient des crétins dont la plupart provoqueraient le chahut de n’importe quel public de lycée — l’étudiant l’ignore ; et il continue d’écouter respectueusement ses maîtres, avec la volonté consciente de perdre tout esprit critique afin de mieux communier dans l’illusion mystique d’être devenu un «étudiant», quelqu’un qui s’occupe sérieusement à apprendre un savoir sérieux, dans l’espoir qu’on lui confiera les vérités dernières. C’est une ménopause de l’esprit. Tout ce qui se passe aujourd’hui dans les amphithéâtres des écoles et des facultés sera condamné dans la future société révolutionnaire comme bruit, socialement nocif. D’ores et déjà, l’étudiant fait rire.
L’étudiant ne se rend même pas compte que l’histoire altère aussi son dérisoire monde «fermé». La fameuse «Crise de l’Université», détail d’une crise plus générale du capitalisme moderne, reste l’objet d’un dialogue de sourds entre différents spécialistes. Elle traduit tout simplement les difficultés d’un ajustement tardif de ce secteur spécial de la production à une transformation d’ensemble de l’appareil productif. Les résidus de la vieille idéologie de l’Université libérale bourgeoise se banalisent au moment où sa base sociale disparaît. L’Université a pu se prendre pour une puissance autonome à l’époque du capitalisme de libre-echange et de son État libéral, qui lui laissait une certaine liberté marginale. Elle dépendait, en fait, étroitement des besoins de ce type de societé : donner à la minorité privilégiée, qui faisait des études, la culture générale adéquate, avant qu’elle ne rejoigne les rangs de la classe dirigeante dont elle était à peine sortie. D’où le ridicule de ces professeurs nostalgiques [N’osant pas se réclamer du libéralisme philistin, ils s’inventent des références dans les franchises universitaires du moyen âge, époque de la «démocratie de la non-liberté»], aigris d’avoir perdu leur ancienne fonction de chiens de garde des futurs maîtres pour celle, beaucoup moins noble, de chiens de berger conduisant, suivant les besoins planifiés du système économique, les fournées de «cols blancs» vers leurs usines et bureaux respectifs. Ce sont eux qui opposent leurs archaïsmes à la technocratisation de l’Université, et continuent imperturbablement à débiter les bribes d’une culture dite générale à de futurs spécialistes qui ne sauront qu’en faire.
Plus sérieux, et donc plus dangereux, sont les modernistes de la gauche et ceux de l’U.N.E.F. menés par les «ultras» de la F.G.E.L., qui revendiquent une «réforme de structure de l’Université», une «réinsertion de l’Université dans la vie sociale et économique», c’est-à-dire son adaptation aux besoins du capitalisme moderne. De dispensatrices de la «culture générale» à l’usage des classes dirigeantes, les diverses facultés et écoles, encore parées de prestiges anachroniques, sont transformées en usines d’élevage hâtif de petits cadres et de cadres moyens. Loin de contester ce processus historique qui subordonne directement un des derniers secteurs relativement autonome de la vie sociale aux exigences du système marchand, nos progressistes protestent contre les retards et défaillances que subit sa réalisation. Ils sont les tenants de la future Université cybernétisée qui s’annonce déjà çà et là [Cf. Internationale situationniste, no 9 (Rédaction B.P. 307.03, Paris). Correspondance avec un cybernéticien et le tract situationniste La tortue dans la vitrine contre le néo-professeur A. Moles]. Le système marchand et ses serviteurs modernes, voila l’ennemi.
Mais il est normal que tout ce débat passe par-dessus la tête de l’étudiant, dans le ciel de ses maîtres, et lui échappe totalement : l’ensemble de sa vie, et a fortiori de la vie, lui échappe.
De par sa situation économique d’extrême pauvreté, l’étudiant est condamné à un certain mode de survie très peu enviable. Mais toujours content de son être, il érige sa triviale misère en «style de vie» original : le misérabilisme et la bohème. Or, la «bohème», déjà loin d’être une solution originale, n’est jamais authentiquement vécue qu’après une rupture complète et irréversible avec le milieu universitaire. Ses partisans parmi les étudiants (et tous se targuent de l’être un peu) ne font donc que s’accrocher à une version factice et dégradée de ce qui n’est, dans le meilleur des cas, qu’une médiocre solution individuelle. Ils méritent jusqu’au mépris des vieilles dames de la campagne. Ces «originaux» continuent, trente ans après W. Reich [Voir La lutte sexuelle des jeunes et La fonction de l’orgasme], cet excellent éducateur de la jeunesse, à avoir les comportements érotiques-amoureux les plus traditionnels, reproduisant les rapports généraux de la société de classes dans leurs rapports inter-sexuels. L’aptitude de l’étudiant à faire un militant de tout acabit en dit long sur son impuissance. Dans la marge de liberté individuelle permise par le spectacle totalitaire, et malgré son emploi du temps plus ou moins lâche, l’étudiant ignore encore l’aventure et lui préfère un espace-temps quotidien étriqué, aménagé à son intention par les garde-fous du même spectacle.
Sans y être contraint, il sépare de lui-même travail et loisirs, tout en proclamant un hypocrite mépris pour les «bosseurs» et les «bêtes à concours». Il entérine toutes les séparations et va ensuite gémir dans divers «cercles» religieux, sportifs, politiques ou syndicaux, sur la non-communication. Il est si bête et si malheureux qu’il va même jusqu’à se confier spontanément et en masse au contrôle parapolicier des psychiatres et psychologues, mis en place à son usage par l’avant-garde de l’oppression moderne, et donc applaudi par ses «représentants» qui voient naturellement dans ces Bureaux d’aide psychologique universitaire (B.A.P.U.) une conquête indispensable et méritée [Avec le reste de la population, la camisole de force est nécessaire pour l’amener à comparaître devant le psychiatre dans sa forteresse asilaire. Avec l’étudiant, il suffit de faire savoir que des postes de contrôle avancés ont été ouverts dans le ghetto : il s’y précipite, au point qu’il est necéssaire de distribuer des numéros d’ordre.].
Mais la misère réelle de la vie quotidienne étudiante trouve sa compensation immédiate, fantastique, dans son principal opium : la marchandise culturelle. Dans le spectacle culturel, l’étudiant retrouve naturellement sa place de disciple respectueux. Proche du lieu de production sans jamais y accéder — le Sanctuaire lui reste interdit — l’étudiant découvre la «culture moderne» en spectateur admiratif. À une époque où l’art est mort, il reste le principal fidele des théâtres et des ciné-clubs, et le plus avide consommateur de son cadavre congelé et diffusé sous cellophane dans les supermarchés, pour les ménagères de l’abondance. Il y participe sans réserve, sans arrière-pensée et sans distance. C’est son élément naturel. Si les «maisons de la culture» n’existaient pas, l’étudiant les aurait inventées. Il vérifie parfaitement les analyses les plus banales de la sociologie américaine du marketing : consommation ostentatoire, établissement d’une différenciation publicitaire entre produits identiques dans la nullité (Pérec ou Robbe-Grillet ; Godard ou Lelouch).
Et, des que les «dieux» qui produisent ou organisent son spectacle culturel s’incarnent sur scène, il est leur principal public, leur fidèle rêvé. Ainsi assiste-t-il en masse à leurs démonstrations les plus obscènes ; qui d’autre que lui peuplerait les salles quand, par exemple, les curés des différentes églises viennent exposer publiquement leurs dialogues sans rivages (semaines de la pensée dite marxiste, réunions d’intellectuels catholiques) ou quand les débris de la littérature viennent constater leur impuissance (cinq mille étudiants à «Que peut la littérature ?»).
Incapable de passions réelles, il fait ses délices des polémiques sans passion entre les vedettes de l’Inintelligence, sur de faux problèmes dont la fonction est de masquer les vrais : Althusser - Garaudy - Sartre - Barthes - Picard - Lefebvre - Levi Strauss - Halliday - Chatelet - Antoine. Humanisme - Existentialisme - Structuralisme - Scientisme - Nouveau Criticisme - Dialecto-naturalisme - Cybernétisme - Planétisme - Métaphilosophisme.
Dans son application, il se croit d’avant-garde parce qu’il a vu le dernier Godard, acheté le dernier livre argumentiste [Sur le gang argumentiste et la disparition de son organe, voir le tract Aux poubelles de l’Histoire, diffusé par l’Internationale situationniste en 1963], participé au dernier happening de Lapassade, ce con. Cet ignorant prend pour des nouveautés «révolutionnaires», garanties par label, les plus pâles ersatz d’anciennes recherches effectivement importantes en leur temps, édulcorées à l’intention du marché. La question est de toujours préserver son standing culturel. L’étudiant est fier d’acheter, comme tout le monde, les rééditions en livre de poche d’une série de textes importants et difficiles que la «culture de masse» répand à une cadence accélérée [À cet effet on ne saurait trop recommander la solution, déjà pratiquée par les plus intelligents, qui consiste à les voler]. Seulement, il ne sait pas lire. Il se contente de les consommer du regard.
Ses lectures préférées restent la presse spécialisée qui orchestre la consommation délirante des gadgets culturels ; docilement, il accepte ses oukases publicitaires et en fait la reférence-standard de ses goûts. Il fait encore ses délices de L’Express et de L’Observateur, ou bien il croit que Le Monde, dont le style est déjà trop difficile pour lui, est vraiment un journal «objectif» qui reflète l’actualité. Pour approfondir ses connaissances générales, il s’abreuve de Planète, la revue magique qui enlève les rides et les points noirs des vieilles idées. C’est avec de tels guides qu’il croit participer au monde moderne et s’initier à la politique.
Car l’étudiant, plus que partout ailleurs, est content d’être politisé. Seulement, il ignore qu’il y participe à travers le même spectacle. Ainsi se réapproprie-t-il tous les restes en lambeaux ridicules d’une gauche qui fut anéantie voilà plus de quarante ans, par le réformisme «socialiste» et par la contre-révolution stalinienne. Cela, il l’ignore encore, alors que le Pouvoir le sait clairement, et les ouvriers d’une façon confuse. Il participe, avec une fierté débile, aux manifestations les plus dérisoires qui n’attirent que lui. La fausse conscience politique se trouve chez lui à l’état pur, et l’étudiant constitue la base idéale pour les manipulations des bureaucrates fantomatiques des organisations mourantes (du Parti dit Communiste à l’U.N.E.F.). Celles-ci programment totalitairement ses options politiques ; tout écart ou velléité d’«indépendance» rentre docilement, après une parodie de résistance, dans un ordre qui n’a jamais été un instant mis en question [Cf. les dernières aventures de l’U.E.C. et de leurs homologues chrétiens avec leurs hiérarchies respectives ; elles montrent que la seule unité entre tous ces gens réside dans leur soumission inconditionnelle à leurs maîtres]. Quand il croit aller outre, comme ces gens qui se nomment, par une véritable maladie de l’inversion publicitaire, J.C.R., alors qu’ils ne sont ni jeunes, ni communistes, ni révolutionnaires, c’est pour se rallier gaiement au mot d’ordre pontifical : Paix au Viet-Nam.
L’étudiant est fier de s’opposer aux «archaïsmes» d’un de Gaulle, mais ne comprend pas qu’il le fait au nom d’erreurs du passé, de crimes refroidis (comme le stalinisme à l’époque de Togliatti - Garaudy - Krouchtchev - Mao) et qu’ainsi sa jeunesse est encore plus archaïque que le pouvoir qui, lui, dispose effectivement de tout ce qu’il faut pour administrer une société moderne.
Mais l’étudiant n’en est pas à un archaïsme près. Il se croit tenu d’avoir des idées générales sur tout, des conceptions cohérentes du monde, qui donnent un sens à son besoin d’agitation et de promiscuité asexuée. C’est pourquoi, joué par les dernières fébrilités des églises, il se rue sur la vieillerie des vieilleries pour adorer la charogne puante de Dieu et s’attacher aux débris décomposés des religions préhistoriques, qu’il croit dignes de lui et de son temps On ose à peine le souligner, le milieu étudiant est, avec celui des vieilles femmes de province, le secteur où se maintient la plus forte dose de religion professée, et reste encore la meilleure «terre de missions» (alors que, dans toutes les autres, on a déjà mangé ou chassé les curés), où des prêtres-étudiants continuent à sodomiser, sans se cacher, des milliers d’étudiants dans leurs chiottes spirituelles.
Certes, il existe tout de même, parmi les étudiants, des gens d’un niveau intellectuel suffisant. Ceux-là dominent sans fatigue les misérables contrôles de capacité prévus pour les médiocres, et ils les dominent justement parce qu’ils ont compris le système, parce qu’ils le méprisent et se savent ses ennemis. Ils prennent dans le système des études ce qu’il a de meilleur : les bourses. Profitant des failles du contrôle, que sa logique propre oblige actuellement et ici à garder un petit secteur purement intellectuel, «la recherche», ils vont tranquillement porter le trouble au plus haut niveau : leur mépris ouvert à l’égard du système va de pair avec la lucidité qui leur permet justement d’être plus forts que les valets du système, et tout d’abord intellectuellement. Les gens dont nous parlons figurent en fait déjà parmi les théoriciens du mouvement révolutionnaire qui vient, et se flattent d’être aussi connus que lui quand on va commencer à en parler. Ils ne cachent à personne que ce qu’ils prennent si aisément au «système des études» est utilisé pour sa destruction. Car l’étudiant ne peut se révolter contre rien sans se révolter contre ses études, et la nécessité de cette révolte se fait sentir moins naturellement que chez l’ouvrier, qui se révolte spontanément contre sa condition. Mais l’étudiant est un produit de la société moderne, au même titre que Godard et le Coca-Cola. Son extrême aliénation ne peut être contestée que par la contestation de la société toute entière. En aucune façon cette critique ne peut se faire sur le terrain étudiant : l’étudiant, comme tel, s’arroge une pseudo-valeur, qui lui interdit de prendre conscience de sa dépossession réelle et, de ce fait, il demeure au comble de la fausse conscience. Mais, partout où la société moderne commence à être contestée, il y a révolte de la jeunesse, qui correspond immédiatement à une critique totale du comportement étudiant.
Dossier Mai 68
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Il ne suffit pas que la pensée recherche sa réalisation,
il faut que la réalité recherche la pensée
Créer enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière