Occupation du musée de la Résistance à Grenoble
Ce mercredi 11 juin à 13 heures 30, un rassemblement dans le cadre de la «semaine de solidarité sans frontières» était appelé devant la préfecture de Grenoble. Un cinquantaine de personnes se sont ensuite dirigé en cortège vers le Musée de la Résistance à quelques rues de là pour l’occuper, faire le lien avec les luttes d’aujourd’hui, dénoncer les tromperies d’un État qui encense une résistance passée pour mieux jeter au trou les résistances d’aujourd’hui, et exprimer une solidarité active avec les parisien-ne-s inculpées dans le cadre d’une procédure anti-terroriste. Immédiatement, au milieu des fumigènes, de grandes banderoles ont été déployées sur le musée, on pouvait y lire «RÉSISTONS ENCORE !», «NI PRISON, NI FRONTIÈRES, NI MATONS NI CHARTERS» ou «SOLIDARITÉ AVEC LES SANS-PAPIERS». Diverses affiches, chronologies d’actions contre les prisons ou de soutien aux sans-papiers, chronologies de la montée en puissance des lois sécuritaires ont été collées sur la façade. Au sol, un filet continu de peinture rouge et des pochoirs relient la Préfecture au lieu d’occupation, pour traduire visuellement le lien avec les sans-papiers, les militants et l’État d’aujourd’hui. Ironie du sort, au même moment un groupe de «jeunes» d’un centre Alliot-Marie, encadré par des animateurs militaires, entraient aussi dans le musée pour une visite.
Rapidement, M. Duclos, directeur du musée, Christine Crifo, vice-présidente du Conseil général et conseillère municipale PS, attachée aux droits de l’Homme, ainsi que quelques autres huiles sont arrivés sur les lieux pour constater l’occupation et faire la morale aux personnes présentes en leur expliquant qu’ils comprenaient bien les raisons de leur manifestation mais que le mode d’action choisi, une occupation des plus tranquilles en l’occurence, était par trop «violent».
Après cette leçon de stratégie («Vous n’êtes pas efficaces»), les occupant.e.s ont pu interrompre l’élue avant qu’elle leur inflige une leçon d’éducation civique («Ah mais la politique de l’État je n’y peux rien, je suis du Conseil général, laissez-moi vous expliquer comment ça fonctionne…»). En termes de cohérence, on peut d’ailleurs dire que Mme Crifo se pose là puisqu’elle s’occuppe des droits de l’Homme, se soucie du sort des sans-papiers et des pauvres, mais défend aussi avec ardeur Minatec ou le projet local de refonte urbaine et de développement scientifique Giant, deux fers de lance du développement d’une ville réservée aux cadres et ingénieurs mais aussi de nano-caméras, nanos armes, puces sous cutanées et autres procédés toujours plus ingénieux de contrôle social et d’étouffement de toute vélléité de résistance.
Dans le même état d’esprit, on aura apprécié de voir le directeur du musée expliquer qu’il était prêt à une confrontation physique pour empêcher les occupant-e-s de communiquer par le biais du fax de l’administration parce qu’il avait «des ordres à suivre et une hiérarchie à laquelle obéir», tout en assurant de sa plus grande sympathie vis à vis de la cause défendue dans le cadre de cette action. Dans un musée qui porte en fronton tant de belles citations sur le devoir de désobéissance, ça fait toujours un peu bizarre. Certains débats plus sympathiques et constructifs ont heureusement pu s’engager à divers moments de l’après-midi avec une partie des personnes présentes.
Après quelques heures pendant lesquelles la nouvelle de l’action fut relayée à l’extérieur par des diffusions de tracts en ville et depuis l’intérieur par l’arrivée de divers journalistes et des envois de mails (à défaut du fameux fax resté introuvable), l’occupation a pris fin vers 17 heures 30.
Pour revenir au sens premier de cette action, nous vous recommandons chaudement de lire le texte diffusé lors de cette occupation et de le diffuser autour de vous si le cœur vous en dit :
Occupation du musée de la Résistance et de la Déportation
Liberté pour toutes les personnes sans papiers !
Liberté et solidarité avec les inculpé-e-s de Paris,
sous le coup d’une procédure anti-terroriste !
Le Mémorial de la Résistance et de la Déportation. Un lieu qui est là pour rappeler qu’il ne faut pas oublier. Un lieu qui est là pour rendre hommage à toutes celles et ceux qui se sont battu-e-s contre l’ordre fasciste et la collaboration… Par cette action nous ne voulons pas nous braquer contre celles et ceux qui ont œuvré à garder la mémoire des horreurs qui ont été perpétrées ou celle des luttes qui se sont menées. Bien au contraire, par cette action, nous voulons les saluer en rappelant qu’il est nécessaire de voir et de faire voir la continuité et de se positionner. Nous voulons rappeler que par temps d’oppression et de répression, il est nécessaire de résister.
Nous sommes ici pour exiger la liberté de celles et ceux qui résistent aujourd’hui, de nos ami-e-s, voisin-e-s, compagnes et compagnons de luttes qui sont aujourd’hui traqué-e-s et incarcérés-e-s.
Nous sommes ici pour dire que nous ne pouvons pas oublier, car ces luttes, ces histoires et ces répressions sont bien d’actualité.
Nous sommes ici pour dénoncer les tromperies d’un État qui encense un certain passé pour mieux jeter au trou le présent et l’écraser.
L’État veut faire porter la mémoire d’un-e déporté-e à chaque enfant en même temps qu’il veut lui faire avaler «le rôle positif de la colonisation» ou qu’il arrête à la sortie des écoles les personnes sans papiers. En même temps que son président persifle des discours sur la prédétermination génétique des individus et parle de «géants noirs» pour désigner les jeunes des quartiers.
À Grenoble, les Destots et autres politicien-ne-s se vautrent dans la glorification du maquis du Vercors en même temps qu’ils et elles développent les nano-technologies (fer de lance de la miniaturisation et de l’amélioration des armes, qui, au passage n’auraient sûrement pas facilité la tâche aux Résistants).
À Grenoble, comme partout ailleurs on peut acheter le dernier bouquin photo des barricades à la FNAC, cible, entre autres, des pavés de l’époque et d’aujourd’hui.
Qu’il s’agisse de La Résistance ou de Mai 68, il est toujours bon d’instrumentaliser, de récupérer.
L’État a dans cette lignée, choisi la Résistance comme son paravent. Brandir ses héros, c’est se mettre du côté des justes sans avoir à se justifier des politiques liberticides actuelles, donner toutes les apparences démocratiques et pouvoir condamner à leur gré toutes les autres résistances… Après avoir sanctifié les Résistants, considérés comme terroristes sous Vichy, il en désigne de nouveaux aujourd’hui. Il crée des boucs émissaires, des «jeunes des banlieues» aux «anarcho-autonomes» en passant par «les casseurs» employant tout le vocabulaire de la peur… et tout le beau monde reprend, en cœur.
Bruno, Ivan et les autres
Face à ces réalités, des actes de révolte fleurissent un peu partout, parmi des personnes sans-papiers, dans les prisons, chez les étudiant-e-s… signe que ce régime n’a que trop duré.
Mais ces actes sont aussitôt discrédités et sévèrement réprimés.
Pour exemple, l’histoire de plusieurs militant-e-s :
Le 19 janvier 2008, Bruno et Ivan se font contrôler par la Brigade Anti Criminalité alors qu’ils rentrent dans leur voiture. Un troisième, Damien, passant par là à ce moment, a le malheur de les connaître et se fait retenir à son tour. Les policiers procèdent à une fouille et trouvent du chlorate, quelques pétards ainsi que des clous tordus. Fichés au RG comme anarchistes, les militants sont accusés d’«association de malfaiteurs» et de «détention et transport d’engins incendiaires ou explosifs en vue de détruire des biens ou de commettre des atteintes aux personnes».
Damien est relâché après la garde à vue. Bruno et Ivan, après 4 mois de préventive, viennent de sortir de prison. Ils sont tous sous contrôle judiciaire, en attente de leur procès.
Le 23 janvier, deux personnes, une femme et un homme sont arrêtées par la douane près de Vierzon et placées en garde à vue. Dans leur coffre, du chlorate, des plans d’un Établissement Pénitentiaire pour Mineurs (EPM) et des manuels de sabotages, dans lesquels figurent des techniques aux explosifs. L’enquête est rapidement confiée à la brigade anti-terroriste de Paris. La police leur prend leur adn de force et recoupe soit disant celui de la femme avec un de ceux retrouvés pendant la période électorale sur un dispositif incendiaire placé sur une voiture de police garé devant le commissariat du 18e arrondissement. Ils sont mis en examen pour «détention et transport de substances explosives ou incendiaires» et «association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste». Lui est sorti sous contrôle judicaire après trois mois de prison. Pour elle, un mandat de dépôt d’un an vient d’être déposé. Ils sont tous les deux également en attente d’un procès.
Si on y regarde d’un peu plus près…
Pour la première affaire…
En route pour la manifestation devant le centre de rétention de Vincennes, Ivan et Bruno devaient utiliser le chlorate pour faire des fumigènes artisanaux afin d’être plus visibles pour les personnes à l’intérieur. Les pétards devaient les aider à faire du bruit, à se faire entendre, et les clous tordus auraient pu servir de crève-pneus pour les voitures de police et autres paniers à salades.
Un équipement plutôt banal donc, utilisé de nombreuses précédentes fois dans ces types de rassemblements, à Paris et ailleurs. À Grenoble on l’a d’ailleurs retrouvé à bien des reprises dans différentes luttes.
Pour la deuxième…
Entre le fait d’avoir du matériel (chlorate) comme on l’a dit plus haut, couramment utilisé pour des fumigènes, et des fascicules diffusés sur internet (plan d’EPM, manuels de sabotage) et la conclusion du montage policier selon lequel on aurait affaire à un projet dit «terroriste», on fait pour le moins face à une construction abusive de «culpabilité».
Mais au niveau juridique, une jonction est faite entre les deux affaires et les mots sont lâchés par la police et les médias : «Bombes», «Terrorisme», «Association de malfaiteurs de la mouvance anarcho-autonome francillienne». Des mots comme des écrans de télé, pour diaboliser.
Et ce n’est pas (si) étonnant quand les éléments (effectifs ou présumés) contre lesquels sont dirigés la contestation pointent directement du doigt l’État, la justice et leur police. Quand les modes d’actions (effectifs ou présumés) sortent des chemins strictement normalisés et se répandent dans les luttes. Ou quand certains des individus concernés revendiquent leur autonomie vis à vis des pouvoirs dominants et des organisations politiques qui leurs sont liés.
Rien ne prouve que ces personnes s’apprêtaient à accomplir de quelconques actes de sabotage, explosifs ou autres. Et quand bien même les personnes en question auraient souhaité, comme d’autres l’ont fait, agir matériellement contre une prison ou d’autres structures d’enfermement ou d’exploitation, on ne pourrait que partager leur motivations dans cette société liberticide et sécuritaire.
Au travers de cette affaire, on cherche à isoler des militant-e-s en essayant de faire croire qu’ils et elles seraient coupé-e-s des mouvements sociaux. On cherche à normaliser nos modes de luttes, à les restreindre, à nous empêcher de les diversifier et les envisager de manière complémentaire, à figer nos imaginaires et à nous diviser.
Il est donc urgent de ne pas se laisser gagner par la peur et de se solidariser.
Centre de rétention, prisons pour mineur-e-s, voiture de flics… Autant d’outils au service d’un pouvoir de plus en plus totalitaire qui se fait appeler démocratie.
Contre les centres de rétention…
Partout la chasse aux personnes sans papiers s’est intensifiée.
Les OQTF (obligation de quitter le territoire français) se multiplient. Il faut partout répondre aux chiffres : on attend pas moins de 25.000 expulsions par an.
Ici, des personnes se font arrêter lors de contrôles policiers dans les transports en commun (un militant du Réseau Universités Sans Frontières et une personne sans papier sont arrêtées par des contrôleurs accompagnés de la police). Là c’est dans les résidences universitaires qu’on vient les chercher (Régis se fait arrêter grâce à la complicité du CROUS dont un des agents indiquera sa chambre à la police). Et bien sûr, aux domiciles (comme Najhib à Meylan), ou dans la rue où les contrôles aux faciès sont permanents. À Paris de véritables rafles ont lieu régulièrement.
et les prisons pour mineur-e-s…
Le contrôle s’étend… Articulé par des lois (comme les Loi sur la Sécurité Quotidienne, Loi sur la Sécurité Intérieure et loi de prévention de la délinquance) ou par l’accroissement et le perfectionnement de dispositifs technologiques (comme la multiplication et centralisation des fichiers de polices, la vidéosurveillance, la biométrie, les «RFID» {puces lisibles et/ou émettrices à distance}, le fichage ADN).
Les jeunes et les enfants sont stigmatisés, tantôt pris comme cibles de la répression ou comme terrain d’acclimatation aux nouvelles techniques de surveillance.
Les visions dites comportementalistes sont de plus en plus mises en avant. Elles soutiennent qu’un certain nombre de personnes (celles qui sont en fait, les plus exclues du modèle de société dominant) sont naturellement «délinquantes».
La construction et la mise en service de sept nouvelles prisons, s’inscrit pleinement dans cette logique totalitaire. Toutes ont déjà fait parler d’elles : mutineries, évasions, tentatives de suicides, intervention des Eris (brigade d’intervention de matons cagoulés bien connus pour ses passages à tabac systématiques). Le 2 février un garçon se suicide à celle de Meyzieu, dans la banlieue de Lyon.
Les luttes s’intensifient entre autres par leur action directe et en dehors des partis.
Au mois de décembre 2007, des mutineries ont éclaté dans plusieurs centres de rétention administrative.
Des dizaines de sans-papiers enfermé-e-s se sont lancé-e-s dans une lutte permanente contre l’existence même des centres de rétention : grèves de la faim, communiqués, refus de rentrer dans les chambres, refus d’être compté-e-s, parloirs sauvages, incendies de cellules, et malheureusement, tentatives de suicide et automutilations…
Face à cette lutte à la fois déterminée et désespérée, à l’extérieur, de nombreuses personnes ont transformé leur indignation en révolte. Depuis la résistance aux rafles dans les quartiers et les transports publics, jusqu’aux interventions dans les aéroports pour éviter une expulsion, en passant par les coups de téléphone quotidiens dans les centres et la présence dans les tribunaux, des réseaux de solidarité s’organisent et des gens agissent directement.
Régulièrement, des milliers de personnes se déplacent vers les centres de rétention, criant «LIBERTÉ» d’une même voix avec les sans-papiers enfermé-e-s. Depuis le mois de décembre, à Paris, les manifestations se suivent, notamment devant le centre de rétention de Vincennes. À plusieurs reprises, des gens se sont regroupés pour montrer leur solidarité avec les sans-papiers : feux d’artifice, fumigènes, pétards, tout est bon pour faire comprendre qu’on est là et qu’on n’accepte pas.
En ce qui concerne les prisons pour mineur-e-s, au delà de d’intervention de syndicats (syndicat de la Magistrature ou autres) divers autres moments de luttes se sont déroulés.
Des comités locaux anti-EPM se sont montés dans de nombreuses villes et rassemblaient à la fois des personnes issues de syndicats ou de partis mais aussi des personnes sans étiquettes organisant de l’information/agitation publique ou des manifestations.
Par ailleurs plusieurs chantiers ont été visités : à Nantes, 50 personnes ont occupé le terrain du futur chantier pendant une semaine dans des cabanes dans les arbres. Une grue d’un chantier Bouygues (constructeurs de prisons) a aussi été occupée au même moment. Un peu plus tard les locaux de la Protection Judiciaire de la Jeunesse sont tagués et cadenassés afin de dénoncer son rôle dans l’acceptation des prisons pour mineur-e-s. Encore après, des engins de chantiers sont sabotés et stoppés pendant un moment. À Lyon des algécos de chantiers ont brûlés, retardant les travaux de plusieurs mois et engendrant plus de dépenses. À Toulouse, durant une manifestation, les locaux de l’EPM sont caillassés, avec les mêmes résultats.
Plus largement, ces dernières années de nombreux mouvements se sont construits de manière significative dans l’action directe et en dehors des partis et des syndicats :
La succession des émeutes dans les quartiers (une forme de lutte tout aussi légitime qu’une autre à notre sens) en novembre 2005, du mouvement dit «anti-CPE», puis anti-LRU et contre la réforme des retraites, de la contestation contre les élections ou encore des actuels mouvements lycéens, traduisent un retour de formes de contestations massives et pour partie «hors-contrôle».
Des occupations, affrontements avec la police, attaques sur des locaux de partis politiques, encollages de serrure, pavés dans les vitrines, arrachages de champs d’ogm, des sabotages de chantiers ou engins par des explosions ou des incendies, neutralisations de machines en usine, destructions ou détournements de panneaux de pub, bloquages de routes ou de voies de chemin de fer, ont émaillé les luttes de ces dernières années et ont pu peser de manière déterminante dans des rapports de force et parfois des reculs des patrons et du gouvernement.
Dans ces remous récents, les partis et syndicats majoritaires, quand ils étaient présents, ont souvent été critiqués et repoussés pour leur bureaucratisme et leur mains liées, trop près du pouvoir et donc trop compromis aux yeux de celles et ceux qui luttaient.
«Résistant-e» ou «Terroriste»
Telle personne, tel groupe, considéré comme terroriste à une époque donnée, parce qu’il s’oppose au système en place, pourra être 30 ans plus tard érigé au rang de résistant et auréolé d’une gloire qui n’a d’intérêt pour la classe dirigeante que dans la mesure où elle sert à masquer les résistances actuelles qui lui sont opposées. Le «terroriste» est une abstraction, une coquille vide que l’État remplit au gré de ses nécessités.
Nous nous fichons bien de ces catégories établies par et pour les dominants. Nous revendiquons la révolte pour ce qu’elle est : une expression de liberté contre tous les systèmes de dominations.
Liberté pour Bruno, Ivan et les autres !