L'écotouriste et son monde
On s’en prend plein la gueule, résistons !
Intensifier l’exploitation ;
Surveiller et punir, ficher et emprisonner.
Détruire les “acquis sociaux”, le droit du travail, “libéraliser” ; que chacun accepte le premier boulot venu aux conditions qu’on lui dira.
Instiller la peur, la méfiance, dresser les uns contre les autres. Catégoriser les différents visages de la révolte et en faire autant d’images d’ennemis à abattre pour justifier leur neutralisation.
Quadriller l’espace public avec une force armée (armée, police, gendarmerie…) toujours plus arrogante et violente dans son entreprise de pacification ; meurtres, tabassages, rafles, expulsions, déportations… Force doit rester à la loi.
Surveiller et punir, ficher et emprisonner.
Le ton est donné, tout le monde est visé.
Reste à ne pas baisser les bras ; à recréer, développer, étendre les solidarités ; pour se défendre collectivement, développer un rapport de force qui nous soit plus favorable, pour en finir avec la domination du capital, son État, ses juges, ses flics, et ses lois.
Exploités de tous les pays, unissons-nous, résistons et finissons-en une bonne fois pour toutes.
Bordel !
L’écotouriste et son monde
Avec le tourisme de masse individualisé, on peut maintenant régler son compte à cette folle attitude qui s’enorgueillissait autrefois de pouvoir établir, selon ses goûts et ses convenances, une certaine disposition des lieux et des êtres, une géographie affective insaisissable. La fugue elle-même, qui était l’art périlleux, et sans retour possible, de s’extraire de la Famille, est devenue une caractéristique de la rebellion parentalement assistée. On ne s’étonnera pas de la retrouver aussi chez cet écotouriste libertaire, frais et dynamique, écologiquement compatible avec les dictatures du Sud (Mexique) ou l’industrie nucléaire du Nord (EDF).
Certes, tous les marchands savent depuis longtemps que la colonisation totale de nos espaces mentaux et affectifs est le véritable centre productif de la valeur capitaliste, qu’il n’y a pas de support plus solide — car immatériel —, que ces mille et uns petits caprices jamais assouvis d’individus soumis aux multiples rackets de l’aménagement du territoire ou de la circulation automobile. Cependant, un monde qui produit en masse ses anarchistes d’État, ses squatteurs sans quartier, ses artisans bios, ses drogués durables, finira toujours par pondre un hybride tel que l’écotouriste.
Toutefois, si l’écotourisme incarne une réelle nouveauté en matière de science policière, cela n’est pas dans ses ineptes prétentions libertaires, mais dans l’Organisation de ce qui était vécu, jusqu’à présent, comme un «tourisme sauvage», loin des parcours balisés du petit commerce, par une avant-garde de consommateurs marginaux écervelés. C’est dans cet acte même de laisser faire et vivre, — non pas dans celui de contraindre autoritairement par la Loi l’individu librement téléguidé —, mais par l’assolement d’une nouvelle morale humaniste, que l’on obtiendra son consentement enthousiaste et zélé. Enfin, non pas crétiniser davantage le consommateur, mais rentabiliser sa crétinerie en faisant de la question la plus brûlante du siècle, la destruction de la planète, une question individuelle, où la bêtise atomisée le dispute dorénavant à celle des experts d’État.
Il faut que chaque consommateur revendique pour lui-même et pour tous les autres une sensibilité écologique borgne, et que jamais ils ne viennent à constituer ensemble une menace collective pour les commerçants et leurs flics. Il faut que chaque différence individuelle revendiquée comme une évidence constitue à jamais le prétexte au maintien d’une communauté informe et visqueuse ; communauté du drame œdipien jamais résolu où la lutte contre l’oppression est affaire de police du langage, de modes de vies et autres formalités domestiques en tout genre. Enfin, il faut que le bavardage démocratique des egos, leurs plaintes comme leurs récriminations, leur parodies de tribunaux comme leur morale, ne convergent jamais vers une puissance de vérité et de dévastation des infrastructures de l’occupant. Car la Police sait qu’elle doit tout au babillage victimaire des créatures dépossédées de grandeur, et que sa raison d’être ne vit que par lui.
On est bien. Hier, il y avait le bon gros tourisme de troupeau et ses pollutions qui tâchent ; demain, le tourisme écologique habillera la planète en parachevant l’éducation des consom’acteurs d’EDF, de Charlie-Hebdo, du Net ou de la pauvre scène squatt. Aujourd’hui, chaque écotouriste est un «flux» policier, un agent double de la traçabilité généralisée. Chaque écotouriste, un promoteur de la confiscation cybernétique du temps présent et de l’évènement qu’il recèle.
On est bien. Ainsi, de la nature transformée en «environnement», au «paysage» dorénavant «préservé», «parqué», quadrillé aux normes muséales de l’esthétique d’État ; ainsi, d’un certain art de la rencontre et de la conversation dorénavant traduits en autant de «flux touristiques», on ne devra plus connaître que ces zones grises où des êtres échangent leurs fatigues contre d’autres névroses. Pour sentir ce que l’occupant capitaliste veut faire de la nature avec son éco-tourisme, il suffit de dire ce que la Police a fait de la vie humaine.
On est bien. On refourgue désormais aux citoyens la défense et la protection de la nature comme autrefois les indulgences aux croyants. Au pays des camps de rétention et de l’égalité, le point de perspective de l’écotourisme est le mirador. Aux vivants la prison, aux guerriers la castration gauchiste ; aux cadavres ambulants des centres commerciaux et des éco-villages, les abats-jours éco-équitables en peau de prolétaires. Chacun pourra laver son âme liquide avec une lessive respectueuse des nappes phréatiques, consommer les produits de l’exploitation équitable dans une misère conviviale sans dioxyne, obtenir le consentement tant désiré en étant plus respectueux de la nature de l’autre.
Mais, qu’on se le dise, jusqu’à la fin des temps capitalistes, tout le monde est sommé de circuler librement conformément aux directives de la Police et de l’Entreprise : voilà, dans la société des petits hommes, en quoi consistent les possibles d’une existence «adulte» «soucieuse de l’environnement» : à une domestication plus profonde de notre devenir.
Intensifier l’exploitation ;
Surveiller et punir, ficher et emprisonner.
Détruire les “acquis sociaux”, le droit du travail, “libéraliser” ; que chacun accepte le premier boulot venu aux conditions qu’on lui dira.
Instiller la peur, la méfiance, dresser les uns contre les autres. Catégoriser les différents visages de la révolte et en faire autant d’images d’ennemis à abattre pour justifier leur neutralisation.
Quadriller l’espace public avec une force armée (armée, police, gendarmerie…) toujours plus arrogante et violente dans son entreprise de pacification ; meurtres, tabassages, rafles, expulsions, déportations… Force doit rester à la loi.
Surveiller et punir, ficher et emprisonner.
Le ton est donné, tout le monde est visé.
Reste à ne pas baisser les bras ; à recréer, développer, étendre les solidarités ; pour se défendre collectivement, développer un rapport de force qui nous soit plus favorable, pour en finir avec la domination du capital, son État, ses juges, ses flics, et ses lois.
Exploités de tous les pays, unissons-nous, résistons et finissons-en une bonne fois pour toutes.
Bordel !
L’écotouriste et son monde
Après avoir dénaturé le pain, l’eau des rivières et l’air que nous respirons ; après avoir fait de la terre une usine, une cité-dortoir et une villégiature pour cadres ; après nous avoir faits prolétaires, citoyens, alternatifs, — en somme castrés, absents et idiots — ; après avoir détruit les dernières possibilités du vrai voyage, du vagabondage, de l’errance en quadrillant le territoire avec toujours plus de contrôle policier, les propriétaires du monde et leurs gestionnaires se proposent, depuis peu, de faire de nos chemins de traverse, de nos dérives, les nouveaux moyens d’escorte de la valorisation capitaliste, de faire de nous des écotouristes.
Avec le tourisme de masse individualisé, on peut maintenant régler son compte à cette folle attitude qui s’enorgueillissait autrefois de pouvoir établir, selon ses goûts et ses convenances, une certaine disposition des lieux et des êtres, une géographie affective insaisissable. La fugue elle-même, qui était l’art périlleux, et sans retour possible, de s’extraire de la Famille, est devenue une caractéristique de la rebellion parentalement assistée. On ne s’étonnera pas de la retrouver aussi chez cet écotouriste libertaire, frais et dynamique, écologiquement compatible avec les dictatures du Sud (Mexique) ou l’industrie nucléaire du Nord (EDF).
Certes, tous les marchands savent depuis longtemps que la colonisation totale de nos espaces mentaux et affectifs est le véritable centre productif de la valeur capitaliste, qu’il n’y a pas de support plus solide — car immatériel —, que ces mille et uns petits caprices jamais assouvis d’individus soumis aux multiples rackets de l’aménagement du territoire ou de la circulation automobile. Cependant, un monde qui produit en masse ses anarchistes d’État, ses squatteurs sans quartier, ses artisans bios, ses drogués durables, finira toujours par pondre un hybride tel que l’écotouriste.
Toutefois, si l’écotourisme incarne une réelle nouveauté en matière de science policière, cela n’est pas dans ses ineptes prétentions libertaires, mais dans l’Organisation de ce qui était vécu, jusqu’à présent, comme un «tourisme sauvage», loin des parcours balisés du petit commerce, par une avant-garde de consommateurs marginaux écervelés. C’est dans cet acte même de laisser faire et vivre, — non pas dans celui de contraindre autoritairement par la Loi l’individu librement téléguidé —, mais par l’assolement d’une nouvelle morale humaniste, que l’on obtiendra son consentement enthousiaste et zélé. Enfin, non pas crétiniser davantage le consommateur, mais rentabiliser sa crétinerie en faisant de la question la plus brûlante du siècle, la destruction de la planète, une question individuelle, où la bêtise atomisée le dispute dorénavant à celle des experts d’État.
Il faut que chaque consommateur revendique pour lui-même et pour tous les autres une sensibilité écologique borgne, et que jamais ils ne viennent à constituer ensemble une menace collective pour les commerçants et leurs flics. Il faut que chaque différence individuelle revendiquée comme une évidence constitue à jamais le prétexte au maintien d’une communauté informe et visqueuse ; communauté du drame œdipien jamais résolu où la lutte contre l’oppression est affaire de police du langage, de modes de vies et autres formalités domestiques en tout genre. Enfin, il faut que le bavardage démocratique des egos, leurs plaintes comme leurs récriminations, leur parodies de tribunaux comme leur morale, ne convergent jamais vers une puissance de vérité et de dévastation des infrastructures de l’occupant. Car la Police sait qu’elle doit tout au babillage victimaire des créatures dépossédées de grandeur, et que sa raison d’être ne vit que par lui.
On est bien. Hier, il y avait le bon gros tourisme de troupeau et ses pollutions qui tâchent ; demain, le tourisme écologique habillera la planète en parachevant l’éducation des consom’acteurs d’EDF, de Charlie-Hebdo, du Net ou de la pauvre scène squatt. Aujourd’hui, chaque écotouriste est un «flux» policier, un agent double de la traçabilité généralisée. Chaque écotouriste, un promoteur de la confiscation cybernétique du temps présent et de l’évènement qu’il recèle.
On est bien. Ainsi, de la nature transformée en «environnement», au «paysage» dorénavant «préservé», «parqué», quadrillé aux normes muséales de l’esthétique d’État ; ainsi, d’un certain art de la rencontre et de la conversation dorénavant traduits en autant de «flux touristiques», on ne devra plus connaître que ces zones grises où des êtres échangent leurs fatigues contre d’autres névroses. Pour sentir ce que l’occupant capitaliste veut faire de la nature avec son éco-tourisme, il suffit de dire ce que la Police a fait de la vie humaine.
On est bien. On refourgue désormais aux citoyens la défense et la protection de la nature comme autrefois les indulgences aux croyants. Au pays des camps de rétention et de l’égalité, le point de perspective de l’écotourisme est le mirador. Aux vivants la prison, aux guerriers la castration gauchiste ; aux cadavres ambulants des centres commerciaux et des éco-villages, les abats-jours éco-équitables en peau de prolétaires. Chacun pourra laver son âme liquide avec une lessive respectueuse des nappes phréatiques, consommer les produits de l’exploitation équitable dans une misère conviviale sans dioxyne, obtenir le consentement tant désiré en étant plus respectueux de la nature de l’autre.
Mais, qu’on se le dise, jusqu’à la fin des temps capitalistes, tout le monde est sommé de circuler librement conformément aux directives de la Police et de l’Entreprise : voilà, dans la société des petits hommes, en quoi consistent les possibles d’une existence «adulte» «soucieuse de l’environnement» : à une domestication plus profonde de notre devenir.
Bulletin de contre-info en Cévennes no 3, juin 2008.