Au bal de l'arbitraire
La ville en bleu. Les beaux jours arrivent, mais les flics sont toujours de sortie. Et ils ont la main lourde quand ils croisent des gens un peu trop rétifs à leur goût.
Mettre trop de temps à sortir sa carte d’identité, renâcler, étaler un peu sa mauvaise humeur… et les claques tombent. Si on se débat, alors ça sera le classique «outrage et rébellion».
Le 19 mai, 6 personnes ont droit à un contrôle musclé aux alentours de Maison-Neuve. Les flics en uniforme ou en civil se lâchent un peu : étranglements, coups de tonfa, fractures, blessures à l’œil… Parfois le simple fait d’assister à une de ces opérations de police suffit à déclencher les violences. Le 22 mai, un jeune trentenaire qui reste dans les parages d’un contrôle après s’être fait aboyé dessus par la BAC se fait punir : une nuit en cellule de dégrisement. Quelques jours avant, un autre imprudent s’était même risqué à filmer des flics en train de déshabiller un type place des Terreaux ; les policiers n’apprécient pas, ils le choppent, le tabassent et le collent en garde à vue. Il sera jugé pour rébellion en octobre.
Et puis il arrive que tout un commissariat soit de la fête. Ça tourne alors au tabassage familial. Les flics du premier nous avaient habitué à ce genre d’exploit (cf. Outrage no 1) ; ce mois-ci l’histoire se passe à Vaulx-en-Velin : le 12 mai, un jeune se fait serrer par des flics qui sont en fait à la recherche de son jumeau. Le grand frère, un peu inquiet pour la suite, part chopper des nouvelles au poste de police. Comme il entend son frangin hurler, il avertit qu’il ne partira pas tant qu’il n’aura pas pu s’assurer de son état de santé. Les flics perdent patience : il sera placé en garde à vue, et tabassé à son tour. Même chose pour son père et sa mère qui finissent par débarquer pour savoir où sont passés leurs gamins. Au final le paternel, le grand frère et un des jumeaux passent en comparution immédiate pour «violence sur agent». Le monde à l’envers. Ils ont demandé et obtenu un délai pour préparer leur défense et se sont récemment adressés à la caisse de solidarité pour obtenir un soutien politique, pour commencer.
Justice d’abattage en comparution immédiate
Quand ce n’est pas la matraque, c’est la justice qui s’abat sur les têtes un peu trop folles aux yeux de l’institution. Comme en comparution immédiate, où les peines sont encore alourdies par la sordide loterie des peines planchers.
Le 8 avril un homme de 45 ans a pris quatre ans de prison ferme pour s’être fait ramasser en possession d’héroïne… Quatre ans de taule parce que le juge a appliqué sans rechigner la loi sur la récidive. Le 2 mai, un jeune de 19 ans passe en justice pour vol aggravé. La victime, qui s’est fait piquer un sac et casser ses lunettes, se porte partie civile : elle demande 600 euros ; pas assez lourd du point de vue du parquet qui réclame l’application de la peine plancher. Le juge suit les réquisitions : le prévenu ramasse trois ans de prison ferme pour un sac arraché. Le procès a duré 28 minutes. Le 6 mai, encore une histoire de sac arraché. Le prévenu a déjà été condamné pour avoir jeté une pierre sur une voiture de la municipale. Il y a donc récidive, selon le procureur. La peine plancher s’applique, d’après le juge : deux ans de prison ferme, six mois avec sursis et 3600 euros d’amende à payer au titre de dommages et intérêts.
Au cours de l’audience des comparutions immédiates du 16 mai, un chômeur de 20 ans est condamné pour le vol d’une casquette et d’une bague en plastique. Valeur cumulée du butin : six euros. Le proc’ réclame et obtient la peine plancher (le prévenu avait crâmé un buisson pendant les émeutes de 2005) : un an de prison ferme avec mandat de dépôt. Plus tard lors de la même séance, c’est une histoire de coup de poing et d’insulte homophobe qui est jugée, avec le même tarif à l’arrivée. Un an ferme. Même les parties civiles, présentes au procès, jugent les peines aberrantes.
Et des outrages et rébellion, encore, mais sous le volet judiciaire cette fois.
28 avril : deux jeunes de Saint-Priest sont jugés pour avoir un peu trop remué pendant un contrôle. L’un ramasse un outrage : 850 euros d’amende et trois mois sous mandat de dépôt ; l’autre est reconnu coupable de violence (en fait il a tendu le bras pour laisser le temps à son pote de tracer la route) : 1950 euros d’amende et six mois avec sursis. Le même jour, un type doit casquer 1300 euros pour avoir envoyé bouler trois flics et un agent TCL suite à un «différend» dans un bus. Il écope en prime de trois mois de taule en régime de semi liberté. Un jeune, qui a protesté contre un contrôle à la station Terreaux et a fini par se débattre au commissariat du premier, ramasse également un «outrage et rébellion avec violence» ; verdict : 2000 euros et six mois de prison avec sursis assortis d’une mise à l’épreuve de dix-huit mois.
12 mai : une affaire de vol et de rebellion se solde par un an de prison ferme. Commentaire du juge au prévenu qui se plaint d’avoir été malmené par la police : «Je pense qu’une bonne claque vous aurait remis les idées en place».
Face à la répression : 06 43 08 50 32
Outrage no 2, juin 2008
Incendiaire, gratuit, sur Lyon et ses environs
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L433-5 du code pénal — Constituent un outrage puni de 7500 euros d’amende les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l’envoi d’objets quelconques adressés à une personne chargée d’une mission de service public, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie. Lorsqu’il est adressé à une personne dépositaire de l’autorité publique, l’outrage est puni de six mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende…
Outrage par geste, parole ou regard… «Outrage», c’est ce qui risque de tomber chaque fois qu’on croise un équipage de la BAC, ou trois flics dans le métro. Parce qu’on a l’audace de leur dire que la police et l’administration française, fidèles à leur tradition, raflent les étrangers ; parce qu’on a le malheur de venir de l’autre côté du périph’ et de ne pas s’écraser quand ils décident de fouiller, d’insulter ; parce qu’on a l’aplomb de les regarder pour ce qu’ils sont : une force d’occupation…
Dans une société qui craque de toutes parts, et de plus en plus, il est vital pour le pouvoir de préserver l’illusion que tout va bien. «Circulez ! Y a rien à voir», comme disent les flics lorsqu’ils humilient dans la rue. Les délits d’outrage, de rébellion sont des instruments bien commodes pour mettre à l’amende tout ce qui remue un peu trop. Et de toute façon la panoplie répressive est si vaste qu’à vouloir se débrouiller pour échapper à l’exploitation salariale ou mettre en place des solidarités concrètes et réelles avec d’autres exploité-es, à tenter de rendre les coups on devient vite illégal ou criminel. Alors autant assumer.
Notre existence même devient une menace pour l’ordre et donc un outrage. Très bien. Ca fera un bon titre. Le bon intitulé pour une publication qui vise à rassembler sur le même support, dans le même mouvement, toutes ces résistances, toutes ces existences rebelles que le pouvoir justement sépare : révoltes des cités, grèves des caissières, luttes des sans-papier, mouvement lycéen… Outrage c’est le nom de cette tentative : 1000 exemplaires, gratuits, diffusés dans toute la ville, à faire circuler de mains en mains, pour donner à voir ce qui se trame dans les angles mort de la métropole, dans les quartiers, dans les taules. Partir d’en bas, des pratiques concrètes, cibler nos ennemis et diffuser des tactiques de résistance… pour que nos différentes luttes communiquent, pour qu’elles s’intensifi ent. Pour nous soustraire collectivement à cette sale France d’après, ou en tout cas la rendre ingérable : en refusant le contrôle (à l’ANPE, dans les TCL, avec test ADN…), par la grève, à coups d’émeutes ou de manifestations sauvages, rue par rue… nous rendre ingouvernables.
Éditorial du 1er numéro d’Outrage, avril 2008
Incendiaire, gratuit, sur Lyon et ses environs