Festival de la Cité Radieuse

Publié le par la Rédaction



Échec des manifestations de Marseille

Le 4 août dernier devait s’ouvrir à Marseille un Festival de l’Art d’Avant-Garde, monté avec l’appui de divers organismes officiels du tourisme, ainsi que du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme. Par le décor choisi — l’immeuble du Corbusier appelé «Cité Radieuse» — et par l’éventail des personnalités pressenties, cette manifestation se présentait comme l’apothéose des tendances confusionnistes et rétrogrades qui ont constamment dominé l’expression moderne depuis dix ans. La consécration publique d’un tel rassemblement intervenait, comme il est d’usage, précisément au moment où la faillite de ces tendances en vient à apparaître à des secteurs toujours plus larges de l’opinion intellectuelle ; au moment où un tournant irréversible s’amorce vers une libération bouleversante dans tous les domaines.

Quatre jours avant le début du Festival de l’Art d’Avant-Garde, l’Internationale lettriste lançait un ordre de boycott, expliquant que la position prise à l’égard de la réunion de Marseille contribuerait grandement dans l’avenir à marquer le partage de deux camps, entre lesquels tout dialogue sera inutile :
Les participants de cette parade, où rien ne manque de ce qui représentera dans vingt ans l’imbécillité des années 50, se trouveront définitivement marqués par une adhésion aussi indiscrète à la plus parfaite manifestation de l’esprit d’une époque. Nous invitons donc les artistes sollicités, ceux du moins qui ne se sentent pas finis, à se désolidariser sans délai de cet amalgame du déisme, du tachisme et de l’impuissance… Nous appelons l’avant-garde internationale à dénoncer le sens de cette manœuvre, et à diffuser les noms de ceux qui s’en font complices.
Le Festival de l’Art d’Avant-Garde, commencé dans l’indifférence quasi unanime de la presse (deux quotidiens parisiens seulement signalent son début par de très courts articles), abandonné in extremis par certains de ses organisateurs, n’arrivant souvent à rassembler qu’une vingtaine de spectateurs par séance, aboutissait bientôt à un parfait échec, même du point de vue financier.

Quelques brefs comptes rendus polis dans les hebdomadaires complices ne parvenaient pas à masquer la liquidation de la belle Avant-Garde Tachisto-Seccotine. Tout au plus s’efforçait-on de répandre quelque trouble en compromettant l’opposition. Ainsi le Figaro Littéraire, dans son numéro du 11 août, signalait que des lettristes participaient au Festival et le boycottaient tout à la fois ; puis, publiant dans son numéro de la semaine suivante notre démenti formel, omettait significativement la dernière phrase : «L’appel de l’Internationale lettriste, que vous citez, ne s’adressait naturellement pas aux marchands de tableaux, et a été très largement suivi.»

La vérité est qu’en août 1956 il était déjà trop tard pour imposer une vision cohérente de ces arts modernes fondés sur le recommencement des expériences passées. La période de réaction de l’après-guerre est en train de finir. Il était même trop tard pour ramasser les lauriers civiques d’anciens combattants d’une avant-garde devenue inoffensive. Celle-ci n’avait jamais été offensive, et cela commence à se savoir. Et surtout, cette période s’est caractérisée fondamentalement par des redites anarchiques et fragmentaires. Il était donc imprudent d’étendre l’entreprise — en partant simplement du choix d’un décor «moderne» pour un festival de théâtre, parent pauvre de celui d’Avignon ; en aboutissant à une annexion hâtive de la peinture ou du cinéma — jusqu’au spectacle d’une unité qui n’a jamais existé. Sa seule possibilité d’existence est dans la révolution unitaire qui commence.


Liste des participants du Festival de la Cité Radieuse

Albinoni, Atlan, Barraqué, Béjart, Benedek, Boulez, César, Fano, Ford, Gilioli, Guillon, Hathaway, Henry, Hodeir, Humeau, Ionesco, Isou, Kerchbron, Lapoujade, Lemaître, L’Herbier, Mac Laren, Martin, Messiaen, Pan, Pak, Philippot, Poliéri, Pousseur, Prévert, Puente, Ragon, Sauguet, Schoffer, Solal, Stahly, Stockhausen, Sugai, Tardieu, Tinguely, Wogenscky, Yves.

Potlatch no 27, 2 novembre 1956.

«Pour Marseille, votre projet paraît excellent. Je vous garantis notre liste. il est possible que certaines personnes pressenties n’aient pas persévéré (ainsi Plauson, dont je n’ai vu faire mention que par votre lettre) — mais notre liste est établie d’après la presse régionale a posteriori, consultée à la rédaction parisienne du Provençal, et s’il y a une erreur, elle est invérifiable, et certainement peu grave. (Par contre il faut prévoir un bon nombre d’oublis.)
Que l’affaire ait été un fiasco, nous avions tablé là-dessus. Raison de plus pour poursuivre notre avantage.»
Guy Debord, lettre à Marcel Mariën, 1er octobre 1956.


Histoire marseillaise

1. Ordre de boycott


Le Festival de la Cité Radieuse, qui doit s’ouvrir le 4 août à Marseille, réunira sur le toit de Firmin le Corbusier tous les écrivains et artistes contemporains connus pour avoir fondé leur carrière sur la copie et la vulgarisation réactionnaire de quelque nouveauté antérieure, généralement elle-même de faible portée.

L’entreprise est homogène, et pour compromettre d’emblée ceux qui n’auraient pas encore individuellement fait la preuve de leur nullité, on a ameuté Ionesco, Tapié, Pichette, Beckett, Adamov et Agnès Varda.

Les participants de cette parade, où rien ne manque de ce qui représentera dans vingt ans l’imbécillité des années 50, se trouveront définitivement marqués par une adhésion aussi indiscrète à la plus parfaite manifestation de l’esprit d’une époque.

Nous invitons donc les artistes sollicités, ceux du moins qui ne se sentent pas finis, à se désolidariser sans délai de cet amalgame du déisme, du tachisme et de l’impuissance — remastiqué, redégueulé.

Nous appelons l’avant-garde internationale à dénoncer le sens de cette manœuvre, et à diffuser les noms de ceux qui s’en font complices.
Le 31 juillet 1956
Pour l’Internationale lettriste :
G.-E. Debord, Asger Jorn, Gil J Wolman


2. Suite

Bruxelles, le 11 août 1956
Festival de l’art d’avant-garde, Cité Radieuse, Marseille
Messieurs,

Nous apprenons que vous vous réjouissez sur le toit. Nous sommes vraiment désolés de troubler cette fête de famille. Lorsque la nuit tombe sur vos petites têtes, peut-être revoyez-vous vos journées encombrées et que le bien-fondé de vos actes vous inquiète. Songez alors que nous sommes avec vous. Nous sommes votre mauvaise conscience.

Les routes sont sinueuses, bien sûr. Mais jamais ne sonnera l’heure de la complaisance.

Merde, Messieurs. Vous pourriez trouver un autre gagne-pain.
Jane Graverol, Marcel Mariën, Paul Nougé,
Gilbert Senecaut, André Souris


3. Oublie-moi

Les personnes dont le nom suit ont figuré au Festival d’Avant-Garde de la Cité Radieuse, acceptant ainsi d’apparaître entièrement solidaires d’une certaine mode de la pensée actuelle, et de disparaître avec elle. Il est possible que la liste que nous publions comporte — déjà — certains oublis. Elle n’en sera pas moins un précieux guide :

Albinoni, Atlan, Barraqué, Béjart, Benedek, Boulez, César, Fano, Ford, Gilioli, Guillon, Hathaway, Henry, Hodeir, Humeau, Ionesco, Isou, Kerchbron, Lapoujade, Lemaître, L’Herbier, Mac Laren, Martin, Messiaen, Pan, Pak, Philippot, Poliéri, Pousseur, Prévert, Puente, Ragon, Sauguet, Schoffer, Solal, Stahly, Stockhausen, Sugai, Tardieu, Tinguely, Wogenscky, Yves.


4. Cependant

Pour autant qu’il ait remarqué dans cette liste quelques noms qu’il aurait pu trouver cités ici-même sous un jour moins cruel, le lecteur superficiel pourrait induire de cette coïncidence le sentiment d’une contradiction de nature à compromettre à ses yeux la cohérence élémentaire à laquelle il a droit. En quoi il se tromperait. Qu’un petit exemple suffise à l’éclairer : personne n’a jamais songé à dénier à Pasteur la place éminente et méritée qu’il occupe dans l’histoire des sciences sous prétexte qu’il ajoutait foi aux vertus burlesques de la sainte eucharistie.

Ainsi, parfois, l’intelligence et la moralité font mauvais ménage, l’une chante
juste quand l’autre déconne.
Les Lèvres nues no 9, novembre 1956.

Publié dans Debordiana

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