Bienne sans coupole !
À coups de pelles, Bienne risque d’étouffer sa Coupole
C’est un symbole. Pour les milieux autogérés, la culture alternative, la jeunesse et la ville de Bienne. Elle suscite fascination et admiration chez les uns, mécontentement et rejet chez les autres. Depuis sa naissance, en 1968, la Coupole reste «le» sujet qui dérange le monde politique biennois. Essentiellement dédié à la musique, ce fief autogéré, largement soutenu par la population, survit depuis quarante ans malgré des attaques récurrentes : une fois encore, la Coupole se retrouve dans l’œil du cyclone. Le plan d’urbanisation de la ville de Bienne prévoit en effet d’aménager une esplanade et un parc public, ainsi que de construire des logements à proximité du centre alternatif d’ici trois ans. Hubert Klopfenstein, directeur des travaux publics, estime que la cohabitation sera impossible. «Les futurs locataires risquent d’être importunés par les activités de l’établissement. Son emplacement devra vraisemblablement être remis en cause.»
Beat Junker, engagé depuis six ans dans le comité gérant la Coupole, ne partage pas cet avis. Pour lui, la cohabitation est envisageable : «Nous sommes ouverts à la discussion, ce que d’aucuns ne veulent pas croire». Il déplore le manque de dialogue entre la Ville et la Coupole. «Nous voulons qu’une collaboration s’instaure sous forme de partenariat», explique-t-il. M. Klopfenstein conteste ce reproche : «la Coupole a pu participer à la procédure de consultation».
Mal perçue, l’autogestion effraie
De son côté, le responsable du Service jeunesse et loisirs, Marcel Meier, constate qu’avec les politiciens les contacts ne sont pas toujours aisés : «Je m’efforce de faire le pont entre deux systèmes de pensée. C’est une tâche ardue d’expliquer qu’autogestion ne rime pas avec espace sans règle.» Il tempère : «Nous n’en sommes plus à la confrontation vive. Cependant, un dialogue tenant véritablement compte des préoccupations de la Coupole peine encore à voir le jour».
Les attitudes divergentes à l’égard de la Coupole découlent-elles de ce manque de dialogue ? Ou serait-ce l’inverse ? Quoi qu’il en soit, le centre autogéré donne encore à certains politiciens l’impression d’un espace où violence et drogue font la loi. La Coupole prend pourtant de sérieuses mesures en la matière. Adjudant à la police municipale et responsable des interventions lors de manifestations, René Eschmann se dit satisfait de la collaboration qu’entretient la Coupole avec son service. Cette dernière communique chaque mois le programme des week-end et le nombre de personnes attendues pour que la police puisse se préparer en conséquence. M. Eschmann estime qu’il n’y a pas plus de violence à la Coupole qu’ailleurs. «Il ne faut pas négliger qu’elle se situe dans une zone connue pour ses violences nocturnes», précise-t-il.
En ce qui concerne la drogue, la Coupole a mis en place un règlement très clair : pas de deal dans l’établissement. Par ailleurs, les militants de la Coupole condamnent la consommation de drogue même si, dans l’idée d’autogestion, chacun se doit d’être responsable de ses actes. Marcel Meier est conscient que le collectif de la Coupole souhaite protéger la jeunesse de la drogue. «Je suis rassuré pour les jeunes qui s’y rendent. À mon avis, à défaut de critiques étayées, les thèmes de la violence et de la drogue sont utilisés pour contester le lieu.»
Une image qui dérange
Autre reproche formulé à l’encontre de l’établissement alternatif : l’heure de fermeture. En Suisse, les discothèques doivent fermer leurs portes à quatre heures du matin. Les soirées de la Coupole se poursuivent souvent jusqu’à l’aube. Émilie Moeschler, jeune membre du Parti socialiste romand, souligne les avantages de cette dérogation : «Les jeunes ne se retrouvent pas dans la rue à attendre le premier train et cette possibilité les dispense de devoir conduire en état d’ébriété durant la nuit.»
De façon plus générale, on accuse l’établissement de faire tache dans la cité. «La Coupole ternit l’image de Bienne», affirme Martin Scherrer, jeune représentant du Parti suisse de la liberté (parti de droite) au Conseil de ville.
Entre autres, un foyer sis devant l’entrée de la salle de concert et qui permet aux gens de la rue de se réchauffer durant la nuit. Le plan d’urbanisation devrait contraindre cet espace à la disparition.
La Coupole, pointe de l’iceberg
Le centre autogéré est la proie de nombreuses doléances. À tel point que ces dernières masquent et font oublier le réseau social qui l’entoure. Beat Junker regrette : «La Ville ne se rend pas bien compte du travail que nous réalisons.» En effet, la Coupole représente l’organe majeur du Centre autonome de jeunesse (CAJ). Le CAJ est un important regroupement d’établissements socioculturels : Cuisine populaire, Sleep-in (accueil de nuit pour les sans-abri), Villa fantaisie (studio d’enregistrement, lieu de rencontre), Infoladen (kiosque d’information alternatif)… Tous ces espaces sont tenus par des bénévoles. «La Ville, qui subventionne le CAJ à raison de 125.000 francs par an, ne pourrait tout simplement pas se payer le travail réalisé par le centre», note Beat Junker. Marcel Meier poursuit : «J’ai beaucoup d’admiration pour les personnes qui s’impliquent en faveur des jeunes et des marginaux. Et qui contribuent au développement de Bienne.»
Un futur proche mais incertain
Hubert Klopfenstein, convaincu depuis longtemps que la Coupole représente un frein à l’urbanisation, juge envisageable de trouver un endroit différent pour les concerts et autres activités du lieu. «Loin des habitations et relativement proche du centre, le quartier de la gare des marchandises s’avérerait une alternative idéale. Mais rien n’est encore défini», avance-t-il. Des manifestations plus calmes pourraient être en revanche organisées à la Coupole. «Pour qu’elle se transforme en musée ?», ironise Beat Junker.
«L’emplacement de la Coupole doit être préservé. C’est une chance qu’un tel lieu se trouve au centre-ville», estime Marcel Meier. Le responsable du Service jeunesse et loisirs redoute que la Coupole étouffe, faute de ne pas être bien intégrée au sein du futur aménagement. «Il faut imaginer l’impossible pour garantir l’utilisation actuelle de l’établissement. Ville et Coupole doivent absolument réfléchir ensemble afin de rendre la cohabitation possible.» Il prévient que la Coupole, dont l’image est si fortement ancrée dans les esprits, sera certainement difficile à déplacer. D’autant plus qu’elle marque Bienne de son identité depuis… 1968 !
«Une réussite en matière d’intégration des jeunes»
La Coupole a-t-elle joué un rôle dans votre jeunesse ?
Carine Zuber : Oui, un rôle énorme. Originaire d’un petit village des environs où il ne se passait culturellement rien, je suis venue à Bienne pour mes études gymnasiales. J’allais à la Coupole tous les week-end : c’était le seul endroit de rencontre pour les jeunes. Je ne faisais pas attention à la programmation, ce qui m’a permis de découvrir une riche palette de styles musicaux. Je dois à ces années et à la Coupole mon éclectisme actuel.
Qu’est-ce que la Coupole vous a appris ?
Ce lieu montrait que des choses pouvaient être réalisées. Son fonctionnement autogéré — l’organisation et la programmation n’étaient pas assurées par des professionnels — prouvait qu’il était possible d’être actif et de mettre des choses sur pied soi-même. Je n’ai donc pas eu peur de participer activement à l’organisation d’un concert rock lors des vingt-cinq ans du gymnase de Bienne. En fait, j’ai appris à travers la Coupole tous les principes de base pour organiser une manifestation.
Quel est votre regard sur le lieu ? Qu’apporte-t-il aujourd'hui ?
La Coupole a sa raison d’être. Les jeunes y apprennent toujours énormément de choses en étant confrontés aux problèmes d’organisation. Par exemple, ils doivent résoudre des questions logistiques ou veiller à ce que la programmation soit équilibrée. C’est un miracle qu’un tel lieu existe encore.
Qu’est-ce qui fait, selon vous, la particularité de la Coupole ?
L’organisation participative est un élément exceptionnel. De plus, ce fonctionnement non professionnel permet un renouveau constant. Dans de nombreux établissements tenus par des professionnels, il est souvent arrivé que le lieu perde la proximité avec le public : la programmation stagnait. C’est peut-être ce perpétuel renouvellement qui a assuré la pérennité de la Coupole.
Que représente la Coupole pour la jeunesse ?
Les jeunes y sont à l’aise car ils ont le sentiment que la Coupole leur appartient : ils s’y identifient. On peut être issu de tous les milieux sociaux ou musicaux, on se sent bien à la Coupole. Le fait que la police ne puisse et ne doive pas intervenir à l’intérieur de l’établissement démontre que la jeunesse sait se prendre en main. La Coupole prouve que l’autogestion est possible. Elle symbolise une réussite en matière d’intégration des jeunes.
La Coupole est-elle présente dans votre quotidien ?
Oui. Pour ne citer qu’un exemple, nous avons invité Fred Wesley la semaine passée au Cully Jazz festival et la première fois que je l’ai vu… c’était à la Coupole ! Erik Truffaz, lui aussi présent à Cully, se souvient très bien de son passage à Bienne, lors d’une soirée que j'avais organisée en tant qu’agente. Tous les artistes qui se sont produits à la Coupole en gardent un excellent souvenir.
Elle n’est pas une usine à gaz
29 juin 1968 : 3000 manifestants descendent dans les rues de Zürich. Ils demandent à la Ville de mettre un local à la disposition des jeunes. De violents affrontements s’en suivent. Une semaine plus tard, la jeunesse biennoise revendique pacifiquement un centre autonome. Un petit groupe d’étudiants proche du mouvement contestataire de 68 organisera un sit-in réunissant environ deux cents jeunes. Ces derniers recevront rapidement un espace : la Coupole. Le Centre autonome de jeunesse (CAJ) [Le CAJ entend rappeler ce qu’il représente et prévoit d’organiser des portes ouvertes et des visites scolaires à la Coupole] voit le jour à Bienne, avant même qu’un discours politique clair ne le définisse. «Nous avions une vision commune d’un centre géré par la jeunesse, même si nos aspirations politiques divergeaient sur certains points», se souvient Renato Maurer [Renato Maurer participe actuellement à la rédaction d’un ouvrage en trois volets retraçant l’aventure du Centre autonome de jeunesse de Bienne. Le premier tome paraîtra cet été.], ancien militant engagé dans les années septante en faveur de la Coupole. Il ajoute : «L’heure n’était pas à la politique. Il fallait construire vite et aménager l’ancienne usine à gaz.» Elle n’en sera dès lors plus jamais une ! Cette vision d’un centre autonome a suscité énormément d’intérêt dans les milieux les plus divers. «Ce qui a fédéré les gens autour de ce projet, c’est peut-être l’espoir commun d’une société plus juste, valorisant la liberté et l’autonomie de l’individu», suppose Renato Maurer. Le dôme semblait refléter alors une perception particulière de la vie. «Fréquenter la Coupole représentait un choix personnel, socialement et culturellement engagé», précise-t-il. Qu’en est-il aujourd’hui ? Un certain nombre de jeunes continuent de s’investir dans l’organisation de la Coupole. «Lorsque je discute avec eux, j’entends souvent dire qu’ils s’y sentent écoutés et libres de s’exprimer. Le Centre alternatif leur donne les moyens d’être actifs, de prendre des initiatives et d’apprendre énormément de choses tant au plan organisationnel que social», se réjouit ce militant. Cependant, à en croire ses propos, la majorité des usagers de la Coupole ignore que ce fief autogéré est un incroyable lieu d’apprentissage. «Les jeunes ne s’y identifient plus autant qu’à l’époque parce que de nos jours, l’offre pour la jeunesse est incroyablement diversifiée. Il faut rappeler qu’en 1968, il n’y avait rien pour les jeunes !»
«La Coupole m’a permis de concrétiser les projets auxquels je croyais. Aujourd’hui encore, je ne connais pas d’autre entité qui favorise autant le développement personnel et social, la créativité et l’inventivité des jeunes», remarque Renato Maurer.
Créée en 1968, la Coupole, cœur du Centre autonome de Bienne, pourrait prochainement fermer ses portes à la jeunesse. Les travaux d’urbanisation qui ont débuté sur l’aire de l’ancienne usine à gaz menacent son existence.
C’est un symbole. Pour les milieux autogérés, la culture alternative, la jeunesse et la ville de Bienne. Elle suscite fascination et admiration chez les uns, mécontentement et rejet chez les autres. Depuis sa naissance, en 1968, la Coupole reste «le» sujet qui dérange le monde politique biennois. Essentiellement dédié à la musique, ce fief autogéré, largement soutenu par la population, survit depuis quarante ans malgré des attaques récurrentes : une fois encore, la Coupole se retrouve dans l’œil du cyclone. Le plan d’urbanisation de la ville de Bienne prévoit en effet d’aménager une esplanade et un parc public, ainsi que de construire des logements à proximité du centre alternatif d’ici trois ans. Hubert Klopfenstein, directeur des travaux publics, estime que la cohabitation sera impossible. «Les futurs locataires risquent d’être importunés par les activités de l’établissement. Son emplacement devra vraisemblablement être remis en cause.»
Beat Junker, engagé depuis six ans dans le comité gérant la Coupole, ne partage pas cet avis. Pour lui, la cohabitation est envisageable : «Nous sommes ouverts à la discussion, ce que d’aucuns ne veulent pas croire». Il déplore le manque de dialogue entre la Ville et la Coupole. «Nous voulons qu’une collaboration s’instaure sous forme de partenariat», explique-t-il. M. Klopfenstein conteste ce reproche : «la Coupole a pu participer à la procédure de consultation».
Mal perçue, l’autogestion effraie
De son côté, le responsable du Service jeunesse et loisirs, Marcel Meier, constate qu’avec les politiciens les contacts ne sont pas toujours aisés : «Je m’efforce de faire le pont entre deux systèmes de pensée. C’est une tâche ardue d’expliquer qu’autogestion ne rime pas avec espace sans règle.» Il tempère : «Nous n’en sommes plus à la confrontation vive. Cependant, un dialogue tenant véritablement compte des préoccupations de la Coupole peine encore à voir le jour».
Les attitudes divergentes à l’égard de la Coupole découlent-elles de ce manque de dialogue ? Ou serait-ce l’inverse ? Quoi qu’il en soit, le centre autogéré donne encore à certains politiciens l’impression d’un espace où violence et drogue font la loi. La Coupole prend pourtant de sérieuses mesures en la matière. Adjudant à la police municipale et responsable des interventions lors de manifestations, René Eschmann se dit satisfait de la collaboration qu’entretient la Coupole avec son service. Cette dernière communique chaque mois le programme des week-end et le nombre de personnes attendues pour que la police puisse se préparer en conséquence. M. Eschmann estime qu’il n’y a pas plus de violence à la Coupole qu’ailleurs. «Il ne faut pas négliger qu’elle se situe dans une zone connue pour ses violences nocturnes», précise-t-il.
En ce qui concerne la drogue, la Coupole a mis en place un règlement très clair : pas de deal dans l’établissement. Par ailleurs, les militants de la Coupole condamnent la consommation de drogue même si, dans l’idée d’autogestion, chacun se doit d’être responsable de ses actes. Marcel Meier est conscient que le collectif de la Coupole souhaite protéger la jeunesse de la drogue. «Je suis rassuré pour les jeunes qui s’y rendent. À mon avis, à défaut de critiques étayées, les thèmes de la violence et de la drogue sont utilisés pour contester le lieu.»
Une image qui dérange
Autre reproche formulé à l’encontre de l’établissement alternatif : l’heure de fermeture. En Suisse, les discothèques doivent fermer leurs portes à quatre heures du matin. Les soirées de la Coupole se poursuivent souvent jusqu’à l’aube. Émilie Moeschler, jeune membre du Parti socialiste romand, souligne les avantages de cette dérogation : «Les jeunes ne se retrouvent pas dans la rue à attendre le premier train et cette possibilité les dispense de devoir conduire en état d’ébriété durant la nuit.»
De façon plus générale, on accuse l’établissement de faire tache dans la cité. «La Coupole ternit l’image de Bienne», affirme Martin Scherrer, jeune représentant du Parti suisse de la liberté (parti de droite) au Conseil de ville.
Entre autres, un foyer sis devant l’entrée de la salle de concert et qui permet aux gens de la rue de se réchauffer durant la nuit. Le plan d’urbanisation devrait contraindre cet espace à la disparition.
La Coupole, pointe de l’iceberg
Le centre autogéré est la proie de nombreuses doléances. À tel point que ces dernières masquent et font oublier le réseau social qui l’entoure. Beat Junker regrette : «La Ville ne se rend pas bien compte du travail que nous réalisons.» En effet, la Coupole représente l’organe majeur du Centre autonome de jeunesse (CAJ). Le CAJ est un important regroupement d’établissements socioculturels : Cuisine populaire, Sleep-in (accueil de nuit pour les sans-abri), Villa fantaisie (studio d’enregistrement, lieu de rencontre), Infoladen (kiosque d’information alternatif)… Tous ces espaces sont tenus par des bénévoles. «La Ville, qui subventionne le CAJ à raison de 125.000 francs par an, ne pourrait tout simplement pas se payer le travail réalisé par le centre», note Beat Junker. Marcel Meier poursuit : «J’ai beaucoup d’admiration pour les personnes qui s’impliquent en faveur des jeunes et des marginaux. Et qui contribuent au développement de Bienne.»
Un futur proche mais incertain
Hubert Klopfenstein, convaincu depuis longtemps que la Coupole représente un frein à l’urbanisation, juge envisageable de trouver un endroit différent pour les concerts et autres activités du lieu. «Loin des habitations et relativement proche du centre, le quartier de la gare des marchandises s’avérerait une alternative idéale. Mais rien n’est encore défini», avance-t-il. Des manifestations plus calmes pourraient être en revanche organisées à la Coupole. «Pour qu’elle se transforme en musée ?», ironise Beat Junker.
«L’emplacement de la Coupole doit être préservé. C’est une chance qu’un tel lieu se trouve au centre-ville», estime Marcel Meier. Le responsable du Service jeunesse et loisirs redoute que la Coupole étouffe, faute de ne pas être bien intégrée au sein du futur aménagement. «Il faut imaginer l’impossible pour garantir l’utilisation actuelle de l’établissement. Ville et Coupole doivent absolument réfléchir ensemble afin de rendre la cohabitation possible.» Il prévient que la Coupole, dont l’image est si fortement ancrée dans les esprits, sera certainement difficile à déplacer. D’autant plus qu’elle marque Bienne de son identité depuis… 1968 !
«Une réussite en matière d’intégration des jeunes»
Après des études en sciences politiques, Carine Zuber se consacre au monde des arts et spectacles à travers divers mandats. Programmatrice du Cully jazz festival depuis neuf ans, responsable des projets de clubs lors d’Expo.02, directrice administrative du Théâtre Bienne-Soleure depuis 2004 et présidente du groupe d’experts musicaux de Pro Helvetia depuis 2005, Carine Zuber, 35 ans, est aussi membre du Parti socialiste. Elle a été élue conseillère de Ville à Bienne en 2005. Quelques semaines après le Cully jazz festival, elle évoque la Coupole, un établissement qui a marqué sa jeunesse biennoise.
La Coupole a-t-elle joué un rôle dans votre jeunesse ?
Carine Zuber : Oui, un rôle énorme. Originaire d’un petit village des environs où il ne se passait culturellement rien, je suis venue à Bienne pour mes études gymnasiales. J’allais à la Coupole tous les week-end : c’était le seul endroit de rencontre pour les jeunes. Je ne faisais pas attention à la programmation, ce qui m’a permis de découvrir une riche palette de styles musicaux. Je dois à ces années et à la Coupole mon éclectisme actuel.
Qu’est-ce que la Coupole vous a appris ?
Ce lieu montrait que des choses pouvaient être réalisées. Son fonctionnement autogéré — l’organisation et la programmation n’étaient pas assurées par des professionnels — prouvait qu’il était possible d’être actif et de mettre des choses sur pied soi-même. Je n’ai donc pas eu peur de participer activement à l’organisation d’un concert rock lors des vingt-cinq ans du gymnase de Bienne. En fait, j’ai appris à travers la Coupole tous les principes de base pour organiser une manifestation.
Quel est votre regard sur le lieu ? Qu’apporte-t-il aujourd'hui ?
La Coupole a sa raison d’être. Les jeunes y apprennent toujours énormément de choses en étant confrontés aux problèmes d’organisation. Par exemple, ils doivent résoudre des questions logistiques ou veiller à ce que la programmation soit équilibrée. C’est un miracle qu’un tel lieu existe encore.
Qu’est-ce qui fait, selon vous, la particularité de la Coupole ?
L’organisation participative est un élément exceptionnel. De plus, ce fonctionnement non professionnel permet un renouveau constant. Dans de nombreux établissements tenus par des professionnels, il est souvent arrivé que le lieu perde la proximité avec le public : la programmation stagnait. C’est peut-être ce perpétuel renouvellement qui a assuré la pérennité de la Coupole.
Que représente la Coupole pour la jeunesse ?
Les jeunes y sont à l’aise car ils ont le sentiment que la Coupole leur appartient : ils s’y identifient. On peut être issu de tous les milieux sociaux ou musicaux, on se sent bien à la Coupole. Le fait que la police ne puisse et ne doive pas intervenir à l’intérieur de l’établissement démontre que la jeunesse sait se prendre en main. La Coupole prouve que l’autogestion est possible. Elle symbolise une réussite en matière d’intégration des jeunes.
La Coupole est-elle présente dans votre quotidien ?
Oui. Pour ne citer qu’un exemple, nous avons invité Fred Wesley la semaine passée au Cully Jazz festival et la première fois que je l’ai vu… c’était à la Coupole ! Erik Truffaz, lui aussi présent à Cully, se souvient très bien de son passage à Bienne, lors d’une soirée que j'avais organisée en tant qu’agente. Tous les artistes qui se sont produits à la Coupole en gardent un excellent souvenir.
Elle n’est pas une usine à gaz
29 juin 1968 : 3000 manifestants descendent dans les rues de Zürich. Ils demandent à la Ville de mettre un local à la disposition des jeunes. De violents affrontements s’en suivent. Une semaine plus tard, la jeunesse biennoise revendique pacifiquement un centre autonome. Un petit groupe d’étudiants proche du mouvement contestataire de 68 organisera un sit-in réunissant environ deux cents jeunes. Ces derniers recevront rapidement un espace : la Coupole. Le Centre autonome de jeunesse (CAJ) [Le CAJ entend rappeler ce qu’il représente et prévoit d’organiser des portes ouvertes et des visites scolaires à la Coupole] voit le jour à Bienne, avant même qu’un discours politique clair ne le définisse. «Nous avions une vision commune d’un centre géré par la jeunesse, même si nos aspirations politiques divergeaient sur certains points», se souvient Renato Maurer [Renato Maurer participe actuellement à la rédaction d’un ouvrage en trois volets retraçant l’aventure du Centre autonome de jeunesse de Bienne. Le premier tome paraîtra cet été.], ancien militant engagé dans les années septante en faveur de la Coupole. Il ajoute : «L’heure n’était pas à la politique. Il fallait construire vite et aménager l’ancienne usine à gaz.» Elle n’en sera dès lors plus jamais une ! Cette vision d’un centre autonome a suscité énormément d’intérêt dans les milieux les plus divers. «Ce qui a fédéré les gens autour de ce projet, c’est peut-être l’espoir commun d’une société plus juste, valorisant la liberté et l’autonomie de l’individu», suppose Renato Maurer. Le dôme semblait refléter alors une perception particulière de la vie. «Fréquenter la Coupole représentait un choix personnel, socialement et culturellement engagé», précise-t-il. Qu’en est-il aujourd’hui ? Un certain nombre de jeunes continuent de s’investir dans l’organisation de la Coupole. «Lorsque je discute avec eux, j’entends souvent dire qu’ils s’y sentent écoutés et libres de s’exprimer. Le Centre alternatif leur donne les moyens d’être actifs, de prendre des initiatives et d’apprendre énormément de choses tant au plan organisationnel que social», se réjouit ce militant. Cependant, à en croire ses propos, la majorité des usagers de la Coupole ignore que ce fief autogéré est un incroyable lieu d’apprentissage. «Les jeunes ne s’y identifient plus autant qu’à l’époque parce que de nos jours, l’offre pour la jeunesse est incroyablement diversifiée. Il faut rappeler qu’en 1968, il n’y avait rien pour les jeunes !»
«La Coupole m’a permis de concrétiser les projets auxquels je croyais. Aujourd’hui encore, je ne connais pas d’autre entité qui favorise autant le développement personnel et social, la créativité et l’inventivité des jeunes», remarque Renato Maurer.
Un avenir sans coupole?
Les environs immédiats de la Coupole doivent être bâtis : un immeuble comprenant 50% de logements doit être placé à 13 mètrtes au nord de la Coupole. Cela entraînerait des problèmes insurmontables.
C’est pourquoi nous avons lancé une pétition contre ce projet. Tout le monde peut signer, nationalité, domicile et âge ne jouent aucun rôle. Nous avons besoin de votre aide ! Téléchargez la pétition, signez-la et renvoyez-la nous, signée par le plus de gens possible.
Pour que la Coupole reste un lieu de culture, de musique et de fête.