De l'IS Paris aux membres de l'IS, aux camarades qui se sont déclarés en accord avec nos thèses
Camarades,
La «révolte» étudiante de Paris a commencé avec le petit groupe des «Enragés» de Nanterre voici quelques mois : René Riesel, Gérard Bigorgne (exclu en avril de toutes les universités françaises pour cinq ans), etc. Ce groupe était sur des positions pro-I.S. Le reste du «mouvement du 22 mars» (plus modéré et confus) a trouvé son leader en Dany Cohn-Bendit (anarchiste du groupe Noir et Rouge) qui a accepté un rôle de vedette spectaculaire où se mêle cependant un certain radicalisme honnête.
La comparution de ces deux camarades en même temps que cinq autres meneurs devant le Conseil de l’Université a déchaîné les troubles du 3 mai. Le mouvement de rue du 6 mai (dix à quinze mille jeunes) commençait dans les jours suivants à être récupéré par l’appui tardif des bureaucrates U.N.E.F., P.C., etc.
Tout a superbement rebondi le soir du 10-11 mai. Une partie du 5e arrondissement entièrement fermée par des barricades, a été pendant près de huit heures entre les mains d’une petite insurrection. Les forces de l’ordre qui le cernaient ont employé les quatre dernières heures à le réduire. Nous étions de trois à quatre mille émeutiers (environ une moitié d’étudiants, beaucoup de lycéens ou blousons noirs, quelques centaines d’ouvriers jeunes et vieux).
Violente répression comme nous nous y attendions. Devant l’ampleur de la protestation de toute la gauche bureaucratique et l’émotion dans les milieux ouvriers, le gouvernement a reculé. Presque toutes les facultés parisiennes sont occupées et prennent figure de clubs populaires. Ce qui domine actuellement est une démocratie directe à la base qui veut mettre en cause la société, qui veut l’unification avec les ouvriers, et qui condamne résolument la bureaucratie stalinienne. Trois positions sont apparues dans l’assemblée générale libre de l’occupation de la Sorbonne du 14 mai 1968.
1) Un premier courant (entre le tiers et la moitié, mais qui s’exprime peu) veut simplement la réforme de l’université et risque de suivre la récupération menée par les professeurs de gauche.
2) Un second courant plus fourni veut poursuivre la lutte jusqu’à la destruction du régime gaulliste ou même du capitalisme (toutes les nuances gauchistes connues — parmi elles, la Fédération des étudiants révolutionnaires, trotskistes lambertistes, qui s’est gravement discréditée en condamnant les barricades).
3) Une troisième position très minoritaire (mais entendue) exprimée par une déclaration de Riesel (qui vous sera communiquée dès que possible) veut l’abolition des classes, du salariat, du spectacle et de la survie, et demande le pouvoir absolu des Conseils ouvriers.
Les développements possibles sont les suivants (dans l’ordre de probabilité décroissante) :
a) Épuisement du mouvement (du moins au degré actuel s’il reste chez les étudiants avant que l’agitation anti-bureaucratique n’ait gagné plus le milieu ouvrier) ;
b) Répression (à prévoir un grand nombre d’arrestations des meneurs) si le mouvement se radicalise davantage ou se maintient longtemps sans avoir fait basculer la classe ouvrière et dissoudre les bureaucraties qui la contrôlent ;
c) La révolution sociale ?
Nous avons constitué hier un Comité Enragés-I.S. qui a commencé à afficher dans la Sorbonne des proclamations radicales et extrêmement cohérentes. Nous allons continuer. Riesel fait partie du premier Comité d’occupation de la Sorbonne (révocable tous les jours par la base).
Faites le maximum pour faire connaître, soutenir, étendre l’agitation. Les thèmes principaux dans l’immédiat, en France, nous semblent être :
— L’occupation des usines ;
— Constitution de Conseils ouvriers ;
— La fermeture définitive de l’Université ;
— Critique complète de toutes les aliénations ; affirmation des principales thèses situationnistes (diffusion en particulier de sa Définition minimum de l’organisation révolutionnaire).
Paris, le 15 mai 1968
Guy - Mustapha - Raoul - René
Guy - Mustapha - Raoul - René
Annexe — Que faire immédiatement ?
— Des inscriptions sur les murs (et partout où ce sera possible comme à la Sorbonne ; affiches dans les facultés ou les lycées). Il nous semble qu’il faut se concentrer sur les slogans suivants :
«Tout le pouvoir aux Conseils ouvriers»
«Abolition de la société de classes»
«À bas la société spectaculaire marchande»
«Vive le Comité Enragés-I.S.» (ou bien signer les inscriptions du nom de ce comité).— Reproduire et diffuser les tracts et déclarations que nous vous ferons parvenir. En produire d’autres dans le même esprit.
— Prendre la parole partout où ce sera possible pour soutenir de telles idées.
Dossier Mai 68