Le football aux footballeurs !

Publié le par la Rédaction



Le football en mai 1968 : une pratique négative

Le tract ci-dessous est daté. Son contexte est le large mouvement d’occupations qui a caractérisé la révolte des mois de mai-juin 1968 en France. Il est connu depuis longtemps à travers le livre de René Viénet ( Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations ) qui l’avait publié dans ses documents annexes.

Bien que daté, il n’en permet pas moins de considérer (avec le recul) ce qu’est devenu le football et c’est bien pourquoi nous l’éditons ici.

On ne peut plus dire comme à la fin des années soixante que le football est «populaire» comme par constitution génétique. D’une part parce que cet adjectif n’a plus automatiquement une signification politique : il est désormais synonyme d’industrie «culturelle», de consommation de spectacles par de larges masses manipulées qui engloutissent les individus. Comme pour l ’éducation du même nom, le sens de l ’adjectif s ’est perdu à la faveur de la coagulation du cours de l’histoire. De nos jours, si l’on tient à ce vocabulaire, il faudrait surtout affirmer que
c’est la bêtise qui est devenue populaire à travers le football.

D’autre part, avec mai 1968, il devenait clair que le football est une composante du pouvoir spectaculaire. Les situationnistes avaient pourtant anticipé en analysant, au cours de ces mêmes années 1960, ce phénomène d’aliénation dans les loisirs. La fausse conscience voudrait que ce soit le «peuple» qui s’exprime dans ces moments de liesse, de «ferveur populaire». C’est plutôt la populace, cette masse informe, qui doit être distinguée du peuple. Le peuple en armes des journées révolutionnaires de 1789, lui, avait des objectifs qui correspondaient à ses intérêts.

Enfin le football est pris dans le développement de cette société : son essence, sa nature n’est pas fixe et donnée une fois pour toutes. Et si l’on tient à le caractériser, il vaudrait mieux dire de lui qu’il est «bourgeois» : la hiérarchie (le coach), la sélection (l’élite), la compétition (la victoire, le gagnant), les classements (le règne de la valeur), la vedette (le héros), etc.

Malgré tout, ce tract témoigne d’une négativité au sein de l’institution sportive qu’on ne peut plus entendre à la faveur d’une Coupe du Monde où la «peste émotionnelle» (Wilhem Reich) s’empare de tout un chacun. C’est aussi pourquoi nous l’éditons : que mille pratiques négatives naissent au cœur du football !



Footballeurs appartenant à divers clubs de la région parisienne, nous avons décidé d’occuper aujourd’hui le siège de la Fédération française de Football. Comme les ouvriers occupent leurs usines. Comme les étudiants occupent leurs Facultés.

Pourquoi ?

Pour rendre aux 600.000 footballeurs français et à leurs millions d’amis ce qui leur appartient : le football dont les pontifes de la Fédération les ont expropriés pour servir leurs intérêts égoïstes de profiteurs du sport.


Aux termes de l’article I des Statuts de la Fédération (association sans buts lucratifs selon la loi), les pontifes de la Fédération s’engageaient à travailler au «développement du football». Nous les accusons d’avoir travaillé contre le football et d’avoir accéléré sa dégradation en le soumettant à la tutelle d’un gouvernement naturellement hostile au sport populaire par essence.

1. Ils ont accepté de limiter à huit mois la saison de football et d’interdire sa pratique au moment le plus favorable de l’année, en tolérant : la fermeture des stades, le refus des billets collectifs pour les déplacements, et le refus des garanties d’assurances-accidents durant la période «interdite».

2. Ils n’ont rien fait pour empêcher la suppression de nombreux terrains de football et pour exiger la création de nouveaux. Ce qui place des centaines de milliers de jeunes dans l’impossibilité de pratiquer leur sport. Ils n’ont rien fait non plus pour permettre aux scolaires de pratiquer le football en salle.

3. Ils viennent de créer la licence B, qui en interdisant pratiquement les changements de clubs (sauf au profit des grands clubs), constitue une atteinte intolérable à la liberté des joueurs et aux intérêts des petits clubs.

4. Par la voix de Dugauguez, ils ont insulté tous les footballeurs français dans leurs aptitudes physiques, techniques et intellectuelles.

5. Ils bafouent la dignité humaine des meilleurs footballeurs d’entre nous, les professionnels, en maintenant le contrat esclavagiste dénoncé par Kopa et dont l’illégalité a été reconnue, il y a un an, par Sadoul, le président du Groupement des dirigeants.

6. Ils concentrent sans vergogne aux mains d’une infime minorité les substantiels profits que nous leur procurons par nos cotisations et par les recettes sur lesquelles ils prélèvent des pourcentages quand ils ne se les approprient pas intégralement. Chiarisoli, président de la Fédération, Sadoul, président du Groupement, dissimulent des appointements illégaux sous des chapitres budgétaires qui échappent au contrôle des sportifs. Boulogne, chef de la maffia des entraîneurs, réserve à ses amis les postes les mieux rétribués (1 million par mois et plus). Dugauguez, qui affirmait être directeur à plein temps de l’équipe de France (600.000 francs par mois) a conservé ses postes de directeur commercial des Drapperies sedanaises et d’entraîneur de Sedan. Et le bouquet de ce feu d’artifice est tiré par Pierre delaunay qui doit son poste de secrétaire général de la Fédération à l’hérédité (comme un vulgaire Louis XVI), car il a été nommé au titre de fils de son père, titulaire précédent de la fonction !


C’est pour mettre fin à ces incroyables pratiques que nous occupons la propriété des 600.000 footballeurs français, qui était devenue le bastion des ennemis et des exploiteurs du football.

Maintenant, à vous de jouer, footballeurs, entraîneurs, dirigeants de petits clubs, amis innombrables et passionnés du football, étudiants, ouvriers, pour conserver la propriété de votre sport, en venant nous rejoindre pour :
Exiger la suppression
de la limitation arbitraire de la saison de football,
de la licence B,
du contrat esclavagiste des joueurs professionnels ;
Exiger la destitution immédiate (par voie de référendum des 600.000 footballeurs, contrôlé par des footballeurs)
des profiteurs du football,
et des insulteurs de footballeurs ;
Libérer le football de la tutelle de l’argent des pseudo-mécènes incompétents qui sont à l’origine du pourrissement du football. En exigeant de l’État les subventions qu’il accorde à tous les autres sports et que les pontifes de la Fédération n’ont jamais réclamées.

Pour que le football reste votre propriété, nous vous appelons à vous rendre sans délai devant le siège de la Fédération, redevenu votre maison, 60 avenue d’Iéna à Paris.

Tous unis nous ferons à nouveau du football ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : le sport de la joie, le sport du monde de demain que tous les travailleurs ont commencé à construire.

Tous, 60 avenue d’Iéna !

Le Comité d’action des Footballeurs


Dossier Mai 68

Publié dans Debordiana

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