Pour le pouvoir des Conseils ouvriers
En dix jours, non seulement des centaines d’usines ont été occupées par les ouvriers, et une grève générale spontanée a interrompu totalement l’activité du pays, mais encore différents bâtiments appartenant à l’État sont occupés par des comités de fait qui s’en sont appropriés la gestion. En présence d’une telle situation, qui ne peut en aucun cas durer, mais qui est devant l’alternative de s’étendre ou de disparaître (répression ou négociation liquidatrice), toutes les vieilles idées sont balayées, toutes les hypothèses radicales sur le retour du mouvement révolutionnaire prolétarien sont confirmées. Le fait que tout le mouvement ait réellement été déclenché, voici cinq mois, par une demi-douzaine de révolutionnaires du groupe des «Enragés» dévoile d’autant mieux combien les conditions objectives étaient déjà présentes. D’ores et déjà l’exemple français a retenti par-delà les frontières, et fait resurgir l’internationalisme, indissociable des révolutions de notre siècle.
La lutte fondamentale aujourd’hui est entre, d’une part, la masse des travailleurs — qui n’a pas directement la parole — et, d’autre part, les bureaucraties politiques et syndicales de gauche qui contrôlent — même si c’est seulement à partir des 14% de syndiqués que compte la population active — les portes des usines et le droit de traiter au nom des occupants. Ces bureaucraties n’étaient pas des organisations ouvrières déchues et traîtresses, mais un mécanisme d’intégration à la société capitaliste. Dans la crise actuelle, elles sont la principale protection du capitalisme ébranlé.
Le gaullisme peut traiter, essentiellement avec le P.C.-C.G.T. (serait-ce indirectement) sur la démobilisation des ouvriers, en échange d’avantages économiques : on réprimerait alors les courants radicaux. Le pouvoir peut passer à «la gauche», qui fera la même politique, quoique à partir d’une position plus affaiblie. On peut aussi tenter la répression par la force. Enfin, les ouvriers peuvent prendre le dessus, en parlant pour eux-mêmes, et en prenant conscience de revendications qui soient au niveau du radicalisme des formes de lutte qu’ils ont déjà mises en pratique. Un tel processus conduirait à la formation de Conseils de travailleurs, décidant démocratiquement à la base, se fédérant par délégués révocables à tout instant, et devenant le seul pouvoir délibératif et exécutif sur tout le pays.
En quoi le prolongement de la situation actuelle contient-il une telle perspective ? Dans quelques jours peut-être, l’obligation de remettre en marche certains secteurs de l’économie sous le contrôle ouvrier, peut poser les bases de ce nouveau pouvoir, que tout porte à déborder les syndicats et partis existants. Il faudra remettre en marche les chemins de fer et les imprimeries, pour les besoins de la lutte ouvrière. Il faudra que les nouvelles autorités de fait réquisitionnent et distribuent les vivres. Il faudra peut-être que la monnaie défaillante soit remplacée par des bons engageant l’avenir de ces nouvelles autorités. C’est dans un tel processus pratique que peut s’imposer la conscience de classe qui s’empare de l’histoire, et qui réalise pour tous les travailleurs la domination de tous les aspects de leur propre vie.
Conseil pour le maintien des occupations
Paris, le 22 mai 1968
Paris, le 22 mai 1968
Dossier Mai 68