La face cachée des centres pour immigrants clandestins européens
Ce qui attend les harraga en Belgique
Aujourd’hui fermé, le centre pour «illégaux» de Vottem près de la ville de Liège, est a priori un centre comme un autre : avec une double rangée de grillage, des caméras de surveillance, des gardiens et un règlement qui prévoit des sanctions comme la privation de visite, les menottes aux mains, la camisole de force et l’enfermement dans des cellules d’isolement. Il y a 6 centres pour «illégaux» en Belgique, 5 sont en région flamande et 1, en l’occurrence Vottem, est en Wallonie. Ces centres hébergent des sans-papiers en attente de leur éloignement du territoire belge, ils sont gérés par l’Office des étrangers. Chaque structure remplit une mission bien déterminée : transferts, interception des clandestins, identification des détenus… Régulièrement, des associations et ONG manifestent, et dénoncent les conditions de vie des détenus hommes, femmes et enfants dans ces centres. Ces détenus n’ont commis aucun délit et leur détention est le fruit d’une décision administrative et non pas judiciaire. Ils sont détenus le temps «nécessaire» à ce que soit prise une décision sur leur sort. L’arrestation des détenus résulte d’interpellations dans la rue, de contrôles à l’aéroport, spontanément lors d’une demande d’asile et parfois, les personnes convoquées par l’Office des étrangers se retrouvent arrêtées (par famille) au moment de leur rendez-vous. Le gros plan sur la gestion du centre de Vottem laisse entrevoir l’étendue de la violence psychique qui y règne. Le 16 novembre 2006, un journaliste publiait un article dans le magazine Ciné-télé Revue intitulé «Centre fermé de Vottem, des gardiens (4 en tout) parlent». Dans leurs témoignages, ces gardiens faisaient état d’une bien longue liste de violations des droits de l’Homme, dont eux-mêmes, exécutants, étaient témoins, tout en devant poursuivre leur tâche. Grâce au courage de ces gardiens, la direction du centre a été interpellée, puis il s’ensuivit une série de conséquences, qui n’auront sans doute pas l’effet escompté. En attendant, entre ceux qui décident et ceux qui sont émus, il y a ceux qui gèrent et improvisent. «Tous les jours, quand je rentre chez moi, je chiale parce que j’ai vu des trucs qui ne devraient pas exister», témoigne l’un des gardiens. À la question de savoir comment ils se sentent dans ce travail, un autre gardien a répondu : «Parfois, je me demande ce que je fais là, mais je me dis que j’occupe la place d’un type qui aurait pu être pire que moi. Ces centres existent de toute façon. Et puis il faut bien gagner sa vie. C’est comme ça que je me console.» Et un autre collègue de dire : «Certains pourraient croire que les agents des centres fermés sont des brutes sans scrupules ou des racistes. Or, il n’y a rien de plus faux. Par exemple, quand il a été question de recevoir des familles à Vottem et que rien n’était prévu à cet effet, on s’est démené sans compter pour rendre l’accueil acceptable parce qu’on savait qu’il y aurait aussi des enfants.»
Melting-pot
Alors que ce centre, ouvert en 1998, avait et a toujours pour objectif d’héberger les illégaux en attente de leur éloignement du territoire belge, au fil des ans, les gardiens ont pu constater la venue de plus en plus régulière de SMEX (sans moyen d’existence, ndlr). «Il faut savoir que Vottem est devenu un centre poubelle», affirme un gardien. «Par exemple, s’il y a une personne qui se ballade en rue avec un comportement bizarre, celle-ci est presque automatiquement interpellée par la police. Et s’il se trouve qu’elle n’a pas de papiers, il est fort possible que les flics l’emmènent, non pas dans un centre psychiatrique, mais la mettent plutôt dans un centre conçu pour “personnes étrangères et sans papiers”.» «Ici, beaucoup de gens n’ont rien fait de mal. À la création du centre, les “résidents” étaient uniquement des “illégaux”, mais depuis quelques années, il y a de plus en plus de SMEX. Par contre, les illégaux sont des “sans-papiers” qui ont été condamnés à une peine de prison et qui viennent purger leurs dernières semaines de peine chez nous avant d’être rapatriés ou de recevoir un OQT (ordre de quitter le territoire) de 5 jours. En quelque sorte, on sert aussi à désengorger les prisons.» «Des Africains qui fuient un régime politique dictatorial sont mélangés avec des Albanais qui viennent ici pour faire du proxénétisme… les résidents sont logés dans des chambres qui ne sont pas fermées.» Étrange brassage dans ce camp qui ne dit pas son nom. Reste à savoir quel est le dénominateur commun de tous ces détenus aux yeux des autorités belges.
Sans-papiers et cas psychiatriques
S’ajoutent à ces «catégories d’indésirables» des individus qui s’avèrent être des fous ou malades mentaux. Leur étrange comportement (cris, tentative de suicide) a amené la direction à ordonner leur enfermement dans des cellules d’isolement, sorte de cachots en béton meublés d’un matelas. L’isolement peut durer des semaines, comme l’affirment les gardiens, cela ne dépasse pas plus d’une semaine, selon la direction. Ainsi traités comme des animaux, ces individus ont parfois eu droit à l’aide d’un kinésithérapeute. Justement l’enjeu, pour les responsables de ces centres, est de faire en sorte que ces malades n’aient pas le statut de cas psychiatriques. Pourquoi ? «Pour cette direction qui dépend du ministère de l’Intérieur, c’est que si le type est reconnu malade par un psychiatre, il n’est plus rapatriable.» Donc, tout le monde aura compris le sens de la manœuvre. C’est ainsi que les autorités préfèrent voir leur maladie comme de la «simulation». Et pour les calmer, rien de plus efficace que de les enfermer dans des cellules et les y laisser terrorisés, parfois nus, jusqu’à ce que l’odeur des excréments soit insoutenable pour le personnel. Notons au passage que M.R., alors directeur adjoint du centre, est en même temps… le psy des détenus.
À refouler !
Pourtant, pour atteindre les objectifs d’expulsion, les autorités préfèrent garder le label sans-papiers, et effacer le caractère fou pour pouvoir les faire entrer dans la catégorie «à refouler». «Quand on demande pourquoi des cas psychiatriques arrivent chez nous, on me dit que c’est seulement pour savoir si ces gens doivent être rapatriés ou pas.» Et pour le savoir, dit-on, «il faut qu’ils passent d’abord par Vottem et être dans le système pour que l’Office des étrangers puisse les valider». Ces pratiques sont tellement grossières qu’elles peuvent laisser croire à une dérive de l’administration du centre. Pourtant, cette manière de fonctionner est tout simplement, dit-on, une manière de parvenir à réaliser les objectifs fixés par le ministère. Mais personne ne parle d’atteintes ou d’excès de zèle. Décidément, l’argument de la rentabilité a de beaux jours devant lui. À signaler tout de même que la préoccupation primordiale du centre est d’éviter qu’un détenu y meure. La mort d’un résident provoquerait l’attention et l’émotion de l’opinion publique, ce qu’il faut absolument éviter. Et puis, que pensera-t-on si on découvre que l’on enferme des gens qui n’ont commis aucun délit… comme des bêtes fauves ?
Quelques doses de Dhpb
En 2007, une infirmière du centre se fait licencier. Elle porte alors plainte contre la direction et accuse, notamment, le chef du personnel, Mohamed Kh., ancien policier criminologue tunisien, d’entorse à la déontologie médicale de harcèlement et de calomnie. Elle a été démise de son poste pour n’avoir pas voulu obéir aux ordres qui allaient, selon sa conscience, contre la déontologie médicale d’infirmière : «Prescription à la légère de DHPB (c’est-à-dire un neuroleptique puissant rarement utilisé car archaïque et qui crée chez une personne hyper excitée une sorte de maladie de Parkinson artificielle et se retrouve alors comme dans une camisole chimique)». Interpellé par des parlementaires, le ministre de l’Intérieur a décidé pour le budget de 2007 de créer un poste de «psy» permanent dans chaque centre, et pour le cas de Vottem, le psy M.R., qui était en même temps cadre administratif, perdra sa double casquette pour ne devenir que psy … digne de confiance. Cette affaire fait écho avec les témoignages des gardiens. «En fait, on se contente de bourrer les gens de médicaments pour les garder calmes. Les médocs à Vottem, c’est un budget de plusieurs milliers d’euros.» Plusieurs ONG avaient indiqué que ces déclarations confirmaient des craintes exprimées de longue date et un rapport dénonçait déjà en 2006 l’usage abusif de calmants et somnifères… En attendant, une information judiciaire est ouverte par le parquet de Liège. L’office des étrangers quant à lui a publié la réponse de deux médecins du centre, les mystérieux docteurs A.C. et I.K., qui affirment que le DHPB est courant dans tous les services des urgences et que ce sont les détenus qui ne cessent de réclamer des anxiolytiques. Les détenus étant complètement isolés et perdus, la solidarité des associations et des ONG qui viennent les visiter leur permet de parler et d’être entendus comme des personnes et non pas comme des numéros. La mobilisation continue même si les autorités tentent de casser les initiatives, par exemple en inculpant pour «rébellion armée» des manifestants contre Vottem qui avaient lancé des projectiles (mottes de terre et pavés). Les centres fermés ont manifestement une fonction symbolique, celle de dissuader les immigrants, mais les facteurs qui poussent les personnes à quitter leur pays sont plus forts que toutes les entraves mises sur le chemin de leur exil vers l’Europe. Dans un arrêt rendu le 24 janvier 2008, la Cour européenne des droits de l’Homme a sévèrement condamné la Belgique pour avoir violé les articles 5 (droit à la liberté et à la sûreté) et 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants) de la Convention européenne des droits de l’Homme envers deux Palestiniens.
Une directive de l’éloignement … les bases pour une répression commune
Ce type de détention est un instrument de plus en plus utilisé en Europe, comme en témoigne le projet de directive du retour, en ce moment en cours de négociation entre le Conseil et le Parlement européens dont le rapporteur est Manfred Weber, député européen (Parti populaire européen). Cette directive propose une organisation institutionnalisée de la détention des immigrants clandestins selon le modèle dit allemand où la détention peut durer jusqu’à 18 mois. La directive devra être adoptée d’après la procédure de codécision (c’est-à-dire entre le Parlement qui a l’occasion d’exercer ses compétences sur une question législative importante et le Conseil des ministres). Nous sommes loin des 32 jours retenus en France et qui avaient déjà suscité l’indignation d’une partie de l’opinion publique. Il s’agit donc d’aligner et d’harmoniser les pratiques des États vers le bas. Pour l’instant, deux points entraînent le report du vote : des organisations belges qui se battent contre la détention d’enfants en Belgique font pression et refusent de voir cet état de fait légalisé par l’Europe, ainsi que la question de l’interdiction de revenir sur le territoire pendant 5 ans. Il s’agirait ici de laisser la possibilité aux États de régler ce point selon les individus plutôt que de poser le principe du forfait général de 5 ans. Si les négociations se déroulent comme prévu, le vote devrait se tenir à la session des 19-22 mai 2008. Les parlementaires européens ont aujourd’hui une responsabilité historique : réagir pour ne pas laisser retomber l’Europe dans les heures sombres de la ségrégation entre nationaux et indésirables par la systématisation des camps et de l’éloignement forcé. Nous appelons les parlementaires européens à prendre leurs responsabilités et à rejeter ce projet. Extrait de la pétition : «Non à la directive de la honte». Aujourd’hui, les opposants ne s’attendent même plus à ce que les négociations adoucissent le visage de la directive. Il n’y a plus de compromis possible. La balle est dans le camp du Parlement européen. Son courage est attendu, pour ne pas dire espéré… À suivre.
Les détenus de ces centres n’ont commis aucun délit et leur détention est le fruit d’une décision administrative et non pas judiciaire.
Aujourd’hui fermé, le centre pour «illégaux» de Vottem près de la ville de Liège, est a priori un centre comme un autre : avec une double rangée de grillage, des caméras de surveillance, des gardiens et un règlement qui prévoit des sanctions comme la privation de visite, les menottes aux mains, la camisole de force et l’enfermement dans des cellules d’isolement. Il y a 6 centres pour «illégaux» en Belgique, 5 sont en région flamande et 1, en l’occurrence Vottem, est en Wallonie. Ces centres hébergent des sans-papiers en attente de leur éloignement du territoire belge, ils sont gérés par l’Office des étrangers. Chaque structure remplit une mission bien déterminée : transferts, interception des clandestins, identification des détenus… Régulièrement, des associations et ONG manifestent, et dénoncent les conditions de vie des détenus hommes, femmes et enfants dans ces centres. Ces détenus n’ont commis aucun délit et leur détention est le fruit d’une décision administrative et non pas judiciaire. Ils sont détenus le temps «nécessaire» à ce que soit prise une décision sur leur sort. L’arrestation des détenus résulte d’interpellations dans la rue, de contrôles à l’aéroport, spontanément lors d’une demande d’asile et parfois, les personnes convoquées par l’Office des étrangers se retrouvent arrêtées (par famille) au moment de leur rendez-vous. Le gros plan sur la gestion du centre de Vottem laisse entrevoir l’étendue de la violence psychique qui y règne. Le 16 novembre 2006, un journaliste publiait un article dans le magazine Ciné-télé Revue intitulé «Centre fermé de Vottem, des gardiens (4 en tout) parlent». Dans leurs témoignages, ces gardiens faisaient état d’une bien longue liste de violations des droits de l’Homme, dont eux-mêmes, exécutants, étaient témoins, tout en devant poursuivre leur tâche. Grâce au courage de ces gardiens, la direction du centre a été interpellée, puis il s’ensuivit une série de conséquences, qui n’auront sans doute pas l’effet escompté. En attendant, entre ceux qui décident et ceux qui sont émus, il y a ceux qui gèrent et improvisent. «Tous les jours, quand je rentre chez moi, je chiale parce que j’ai vu des trucs qui ne devraient pas exister», témoigne l’un des gardiens. À la question de savoir comment ils se sentent dans ce travail, un autre gardien a répondu : «Parfois, je me demande ce que je fais là, mais je me dis que j’occupe la place d’un type qui aurait pu être pire que moi. Ces centres existent de toute façon. Et puis il faut bien gagner sa vie. C’est comme ça que je me console.» Et un autre collègue de dire : «Certains pourraient croire que les agents des centres fermés sont des brutes sans scrupules ou des racistes. Or, il n’y a rien de plus faux. Par exemple, quand il a été question de recevoir des familles à Vottem et que rien n’était prévu à cet effet, on s’est démené sans compter pour rendre l’accueil acceptable parce qu’on savait qu’il y aurait aussi des enfants.»
Melting-pot
Alors que ce centre, ouvert en 1998, avait et a toujours pour objectif d’héberger les illégaux en attente de leur éloignement du territoire belge, au fil des ans, les gardiens ont pu constater la venue de plus en plus régulière de SMEX (sans moyen d’existence, ndlr). «Il faut savoir que Vottem est devenu un centre poubelle», affirme un gardien. «Par exemple, s’il y a une personne qui se ballade en rue avec un comportement bizarre, celle-ci est presque automatiquement interpellée par la police. Et s’il se trouve qu’elle n’a pas de papiers, il est fort possible que les flics l’emmènent, non pas dans un centre psychiatrique, mais la mettent plutôt dans un centre conçu pour “personnes étrangères et sans papiers”.» «Ici, beaucoup de gens n’ont rien fait de mal. À la création du centre, les “résidents” étaient uniquement des “illégaux”, mais depuis quelques années, il y a de plus en plus de SMEX. Par contre, les illégaux sont des “sans-papiers” qui ont été condamnés à une peine de prison et qui viennent purger leurs dernières semaines de peine chez nous avant d’être rapatriés ou de recevoir un OQT (ordre de quitter le territoire) de 5 jours. En quelque sorte, on sert aussi à désengorger les prisons.» «Des Africains qui fuient un régime politique dictatorial sont mélangés avec des Albanais qui viennent ici pour faire du proxénétisme… les résidents sont logés dans des chambres qui ne sont pas fermées.» Étrange brassage dans ce camp qui ne dit pas son nom. Reste à savoir quel est le dénominateur commun de tous ces détenus aux yeux des autorités belges.
Sans-papiers et cas psychiatriques
S’ajoutent à ces «catégories d’indésirables» des individus qui s’avèrent être des fous ou malades mentaux. Leur étrange comportement (cris, tentative de suicide) a amené la direction à ordonner leur enfermement dans des cellules d’isolement, sorte de cachots en béton meublés d’un matelas. L’isolement peut durer des semaines, comme l’affirment les gardiens, cela ne dépasse pas plus d’une semaine, selon la direction. Ainsi traités comme des animaux, ces individus ont parfois eu droit à l’aide d’un kinésithérapeute. Justement l’enjeu, pour les responsables de ces centres, est de faire en sorte que ces malades n’aient pas le statut de cas psychiatriques. Pourquoi ? «Pour cette direction qui dépend du ministère de l’Intérieur, c’est que si le type est reconnu malade par un psychiatre, il n’est plus rapatriable.» Donc, tout le monde aura compris le sens de la manœuvre. C’est ainsi que les autorités préfèrent voir leur maladie comme de la «simulation». Et pour les calmer, rien de plus efficace que de les enfermer dans des cellules et les y laisser terrorisés, parfois nus, jusqu’à ce que l’odeur des excréments soit insoutenable pour le personnel. Notons au passage que M.R., alors directeur adjoint du centre, est en même temps… le psy des détenus.
À refouler !
Pourtant, pour atteindre les objectifs d’expulsion, les autorités préfèrent garder le label sans-papiers, et effacer le caractère fou pour pouvoir les faire entrer dans la catégorie «à refouler». «Quand on demande pourquoi des cas psychiatriques arrivent chez nous, on me dit que c’est seulement pour savoir si ces gens doivent être rapatriés ou pas.» Et pour le savoir, dit-on, «il faut qu’ils passent d’abord par Vottem et être dans le système pour que l’Office des étrangers puisse les valider». Ces pratiques sont tellement grossières qu’elles peuvent laisser croire à une dérive de l’administration du centre. Pourtant, cette manière de fonctionner est tout simplement, dit-on, une manière de parvenir à réaliser les objectifs fixés par le ministère. Mais personne ne parle d’atteintes ou d’excès de zèle. Décidément, l’argument de la rentabilité a de beaux jours devant lui. À signaler tout de même que la préoccupation primordiale du centre est d’éviter qu’un détenu y meure. La mort d’un résident provoquerait l’attention et l’émotion de l’opinion publique, ce qu’il faut absolument éviter. Et puis, que pensera-t-on si on découvre que l’on enferme des gens qui n’ont commis aucun délit… comme des bêtes fauves ?
Quelques doses de Dhpb
En 2007, une infirmière du centre se fait licencier. Elle porte alors plainte contre la direction et accuse, notamment, le chef du personnel, Mohamed Kh., ancien policier criminologue tunisien, d’entorse à la déontologie médicale de harcèlement et de calomnie. Elle a été démise de son poste pour n’avoir pas voulu obéir aux ordres qui allaient, selon sa conscience, contre la déontologie médicale d’infirmière : «Prescription à la légère de DHPB (c’est-à-dire un neuroleptique puissant rarement utilisé car archaïque et qui crée chez une personne hyper excitée une sorte de maladie de Parkinson artificielle et se retrouve alors comme dans une camisole chimique)». Interpellé par des parlementaires, le ministre de l’Intérieur a décidé pour le budget de 2007 de créer un poste de «psy» permanent dans chaque centre, et pour le cas de Vottem, le psy M.R., qui était en même temps cadre administratif, perdra sa double casquette pour ne devenir que psy … digne de confiance. Cette affaire fait écho avec les témoignages des gardiens. «En fait, on se contente de bourrer les gens de médicaments pour les garder calmes. Les médocs à Vottem, c’est un budget de plusieurs milliers d’euros.» Plusieurs ONG avaient indiqué que ces déclarations confirmaient des craintes exprimées de longue date et un rapport dénonçait déjà en 2006 l’usage abusif de calmants et somnifères… En attendant, une information judiciaire est ouverte par le parquet de Liège. L’office des étrangers quant à lui a publié la réponse de deux médecins du centre, les mystérieux docteurs A.C. et I.K., qui affirment que le DHPB est courant dans tous les services des urgences et que ce sont les détenus qui ne cessent de réclamer des anxiolytiques. Les détenus étant complètement isolés et perdus, la solidarité des associations et des ONG qui viennent les visiter leur permet de parler et d’être entendus comme des personnes et non pas comme des numéros. La mobilisation continue même si les autorités tentent de casser les initiatives, par exemple en inculpant pour «rébellion armée» des manifestants contre Vottem qui avaient lancé des projectiles (mottes de terre et pavés). Les centres fermés ont manifestement une fonction symbolique, celle de dissuader les immigrants, mais les facteurs qui poussent les personnes à quitter leur pays sont plus forts que toutes les entraves mises sur le chemin de leur exil vers l’Europe. Dans un arrêt rendu le 24 janvier 2008, la Cour européenne des droits de l’Homme a sévèrement condamné la Belgique pour avoir violé les articles 5 (droit à la liberté et à la sûreté) et 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants) de la Convention européenne des droits de l’Homme envers deux Palestiniens.
Une directive de l’éloignement … les bases pour une répression commune
Ce type de détention est un instrument de plus en plus utilisé en Europe, comme en témoigne le projet de directive du retour, en ce moment en cours de négociation entre le Conseil et le Parlement européens dont le rapporteur est Manfred Weber, député européen (Parti populaire européen). Cette directive propose une organisation institutionnalisée de la détention des immigrants clandestins selon le modèle dit allemand où la détention peut durer jusqu’à 18 mois. La directive devra être adoptée d’après la procédure de codécision (c’est-à-dire entre le Parlement qui a l’occasion d’exercer ses compétences sur une question législative importante et le Conseil des ministres). Nous sommes loin des 32 jours retenus en France et qui avaient déjà suscité l’indignation d’une partie de l’opinion publique. Il s’agit donc d’aligner et d’harmoniser les pratiques des États vers le bas. Pour l’instant, deux points entraînent le report du vote : des organisations belges qui se battent contre la détention d’enfants en Belgique font pression et refusent de voir cet état de fait légalisé par l’Europe, ainsi que la question de l’interdiction de revenir sur le territoire pendant 5 ans. Il s’agirait ici de laisser la possibilité aux États de régler ce point selon les individus plutôt que de poser le principe du forfait général de 5 ans. Si les négociations se déroulent comme prévu, le vote devrait se tenir à la session des 19-22 mai 2008. Les parlementaires européens ont aujourd’hui une responsabilité historique : réagir pour ne pas laisser retomber l’Europe dans les heures sombres de la ségrégation entre nationaux et indésirables par la systématisation des camps et de l’éloignement forcé. Nous appelons les parlementaires européens à prendre leurs responsabilités et à rejeter ce projet. Extrait de la pétition : «Non à la directive de la honte». Aujourd’hui, les opposants ne s’attendent même plus à ce que les négociations adoucissent le visage de la directive. Il n’y a plus de compromis possible. La balle est dans le camp du Parlement européen. Son courage est attendu, pour ne pas dire espéré… À suivre.
Selma El Kenz, Bruxelles (Belgique)
El Watan, 17 mars 2008
El Watan, 17 mars 2008