Suicide à l'EPM de Meyzieu

Publié le par la Rédaction

«Le principe en vertu duquel je prononce est que la faute est toujours hors de doute.»
Kafka, La Colonie pénitentiaire.

undefinedRevenons vers celui qui s’est échappé de ce monde, car X est toujours avec nous dans le combat contre les EPM [Établissement pénitentiaire pour mineurs].

Un jeune homme s’est suicidé à l’EPM de Meyzieu. Cet établissement est ouvert depuis juin 2007.

Julien est né voici 16 ans, six après l’explosion de Tchernobyl. Il a vécu dans le périmètre qui s’étend entre saintPaul-Trois-Chateaux - Pierrelatte - Cruas. La zone de la fatalité. C’est en effet fréquent par là, d’avoir un problème de thyroïde et quelques dysfonctionnements corporels. Dans cette zone, Montélimar est une ville moyenne cossue, grâce à quelques subsides des nucléocrates. Julien sut très tôt que les poudres d’or qui recouvrent certains travailleurs du nucléaire ne seraient jamais pour lui. Que dit Illitch dans L’Art d’habiter ? «Les araignées, comme tous les animaux, sont programmées par leurs gènes. L’humain est le seul animal à être un artiste, et l’art d’habiter fait partie de l’art de vivre. Une demeure n’est ni un terrier ni un garage… Dis-moi comment tu habites et je te dirais qui tu es… Habiter, c’était demeurer dans ses propres traces, laisser la vie quotidienne écrire les réseaux et les articulations de sa bibliographie dans le paysage.» Les lieux qu’X a été obligé d’occuper dans sa trop courte vie (en plus de ceux connus de ses seuls proches) sont des équipements du pouvoir : les appareils scolaires et les équipements sociaux de cette ville moyenne pacifiée, nucléaire oblige, et pour finir l’EPM. À ces lieux, il faut ajouter ses rencontres avec les petites mains du pouvoir : les éducateurs, les assistantes sociales, les divers juges.

En 2007, Julien essuyait les plâtres de la dernière machine de contrition inaugurée avec une cohorte de journalistes et, quelque temps après, la ministre Rachida Dati. Une fois entré dans le système de punition, il savait : «Tout le monde peut voir … la sentence s’inscrire sur le corps». Se retrouver seul une fois les portes verrouillées pour se battre, pour continuer à pouvoir exister, résister face à l’établissement pénitentiaire des mineurs, telle est la nouvelle donne pour Julien. La théorie comportementaliste suinte dans ces lieux. L’objectif est de contraindre les symptômes de la délinquance (attitude, langage) à sortir des corps. Il y avait bien eu, en juillet, une révolte dans ces lieux, mâtée par les cagoulés (ERIS). C’était un passé gommé par le silence contraint des plus anciens. Sa révolte à lui il la porte sur son corps. Quant à l’arsenal thérapeutique mis en place par le juge des enfants et le personnel mixé (éducateurs et matons) ce sont des sigles (le CER [Centre éducatif renforcé] et après le CPI [Centre de placement immédiat]) qui ressemblent plus à un mode d’emploi de machine : pousser le levier CER et ajouter une petite dose de CPI. Nous exigeons aujourd’hui, pour que soit respecté X, que soient fermés tous les EPM et toute cette série d’instruments basés sur la panoptique de Bantam. L’ensemble de la politique des punitions/soins doit être mise à plat.

Réminiscence, décembre 2007, médiathèque de Valence : le directeur de la PJJ de la Drôme faisait l’apologie des Établissements pénitentiaires pour mineurs et disait «La présence du personnel compétent au côté du personnel de la pénitentiaire permettrait un fonctionnement harmonieux.» Au passage il eut l’outrecuidance de critiquer lourdement le CEF [Centre éducatif fermé] de Valence, appuyé en cela par le juge des enfants. Au cours de cette soirée le juge des enfants et quelques éducateurs de l’agglomération valentinoise ont fait l’apologie de la future maison de la justice au quartier de la Monnaie de Romans. Ils ont utilisé comme exemple la justice de proximité sociale britannique pensée sous Tony Blair. Leurs objectifs : permettre aux jeunes d’accéder au langage judiciaire pour se défendre dans leur vie quotidienne. Leur discours s’appuyait sur la loi Perben II et aussi sur la loi sur la Sécurité intérieure. Le directeur de la PJJ oublie son passé d’éducateur et sa participation au combat pour la fermeture des maisons de correction. Ses anciens collègues de travail lui ont rappelé ce passé durant sa séquestration lors du combat pour empêcher l’ouverture du CEF de Valence.

La réflexion critique permettra d’«analyser le pouvoir avec un P majuscule, même pas les institutions de pouvoir ou les formes générales ou institutionnelles de domination, mais les techniques et procédures par lesquelles on entreprend de conduire la conduite des autres» (
Michel Foucault, Le gouvernement de soi et des autres). Pour que le combat contre l’enfermement soit total nous ne devons pas nous limiter aux combats contre les symptômes de la maladie de la société technologique mais interroger aussi la notion chrétienne de l’aveu fait devant le juge.

«Au bout d’un mois d’incarcération, il eut la surprise, un matin, de découvrir, dessiné comme par enchantement sur le mur de sa cellule, un petit indien avec sa plume sur la tête, des mocassins aux pieds et un arc à la main.»
André Pauly.

Pour X

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Le C.S.P. (Collectif Solidarité Prisonniers) de Valence et d’autres
qui ont permis d’écrire ce petit tract
pour la manifestation devant l’EPM de Meyzieu, le
9 février 2008.

Le Laboratoire, 8 place saintJean à Valence



Son fils de 16 ans mort en prison : le père dénonce


«Il n’y a que Julien qui connaît la vérité. Et il l’a emportée avec lui.» Ces quelques phrases prononcées hier par Sébastien [Le père de l’enfant ne souhaite pas médiatiser son nom de famille], un habitant de Montélimar, père de l’adolescent qui, officiellement, s’est suicidé samedi dernier à l’Établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) de Meyzieu, dans le Rhône, donnent une idée du flou qui entoure ce drame.

«Je ne sais toujours pas de quoi est mort mon fils»

«Officiellement, je ne sais toujours pas de quoi est mort mon fils. J’ai eu différentes personnes et différentes versions. Ce qui est sûr, c’est ce que j’ai vu. J’ai vu son corps et il n’a aucune marque sur le cou. C’est possible pour quelqu’un qui se pend ?» s’interroge-t-il. «À l’EPM, on m’a dit qu’il avait été trouvé par terre, un drap autour du cou et saignant du nez. Ils ont essayé de le ranimer, le cœur est reparti, mais le cerveau était mort. Puis j’ai été contacté par un policier qui me dit qu’il faut qu’on passe des examens cardiaques parce que ça pourrait venir de là… Mais mon fils, c’était un sportif, il n’avait pas de problème de cœur. C’était juste qu’il ne supportait pas d’être enfermé.»

Outre le chagrin, Sébastien éprouve aujourd’hui un sentiment d’abandon. Sans contester les règles de droit, il souligne la manière dont le cas de son fils a été géré humainement et administrativement. «Vendredi matin, j’ai eu une éducatrice de l’EPM. Elle m’a dit que mon fils devait arrêter ses tentatives de suicide pour passer du temps à l’hôpital. Textuellement, elle m’a même dit : “Il doit arrêter son délire, ce n’est plus lui qui commande.” La communication a duré six minutes.» Dire, comme le fait l’avocat du père, Me Alain Fort, que les appels au secours de l’enfant n’ont pas été entendus relève du doux euphémisme.

Sébastien continue. «Après le suicide, le directeur de l’EPM m’a appelé pour me dire que Julien était dans un état grave à l’hôpital Édouard-Herriot. Puis, sur la route, j’ai eu le professeur Petit au téléphone. Il m’a dit que c’était sans espoir, qu’il ne vivait que grâce au respirateur. Quand je suis arrivé à l’hôpital, je n’ai pas pu le voir. La chambre était gardée par deux policiers qui m’ont empêché de voir mon fils. Il a fallu que les gens du centre de placement immédiat de Valence se bougent et appellent Paris pour qu’on me laisse voir mon fils.» Renseignements pris auprès d’un policier, les agents en faction devant la chambre ne faisaient qu’appliquer le réglement. Dans ce qu’il peut avoir de plus inhumain.

Aujourd’hui, Sébastien veut connaître la vérité et compte se battre pour y arriver. «Ce n’est pas pour moi. Ce n’est pas pour de l’argent. C’est pour éviter que ce drame se répète, pour éviter que d’autres parents ressentent le même chagrin que moi. J’ai appris qu’il y avait déjà eu 72 tentatives de suicide dans les EPM. Julien, c’était le 73e. Il y a d’autres gamins qui souffrent entre quatre murs. Je le fais pour eux.»

Le Daubé, 8 février 2008



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