Outrage ou retour du crime de lèse-majesté ?

Publié le par la Rédaction

undefinedUn militant de la Confédération nationale du travail (CNT) et du Réseau d’éducation sans frontières (RESF) était convoqué le 17 janvier dernier au tribunal de Grande instance de Paris pour avoir envoyé en décembre 2006 un courriel au ministre de l’Intérieur (Nicolas Sarkozy) faisant des parallèles entre la politique de ce dernier avec le régime de Vichy. Nicolas Sarkozy avait saisi le ministère de la Justice pour «outrage» en février 2007. Le jugement a été mis en délibéré au 14 février.

Les faits se déroulent le 19 décembre 2006. Romain Dunand, un jurassien de 35 ans, militant du CNT et de RESF est exaspéré. En réaction à l’arrestation à Marignane d’un autre militant de RESF à Marseille, Florimond Guimard, lors d’une manifestation en soutien à un père de famille sans papiers en cours d’expulsion, il décide d’écrire au ministre de l’Intérieur. Enfin, pas tout à fait. Pour être sûr que sa missive arrive bien à destination il choisit la voie électronique ce qui nécessite un destinataire clairement identifié. À défaut de l’adresse électronique de Nicolas Sarkozy, le militant se rabat sur le secrétariat de son plus proche collaborateur, un certain Claude Guéant, directeur de cabinet.


«Objet: Bas les pattes sur Florimond Guimard !
De: “cnt-jura”
Date: Mar, décembre 19, 2006 13:26
A: sec.gueant@interieur.gouv.fr

Au ministère de l’Intérieur

Monsieur le ministre,

Nous venons d’apprendre que notre camarade Florimond Guimard, instituteur à Marseille, convoqué au commissariat, a été placé en garde [à vue] suite aux manifestations anti-expulsions à l’aéroport.

Voilà donc Vichy qui revient : Pétain avait donc oublié ses chiens !

RésoluEs à défendre les dernières libertés qui nous restent —à commencer par la liberté d’exprimer notre solidarité active avec les victimes de votre politique qu’il faut bien qualifier de raciste—, nous exigeons la libération immédiate de Florimond Guimard, et l’abandon de toute poursuite à son encontre.

Dans l’attente, en vous rappelant l’exigence de la fermeture des centres de rétention et celle de la régularisation de toutes les sans papiers, recevez nos salutations antifascistes,

M. Romain Dunand, Cnt-Jura / Resf-Jura.»

L’affaire aurait dû en rester là. Pourtant, on ne sait trop pourquoi, hormis peut être la volonté de faire un exemple, le courriel ne restera pas sans suite. Il faut rappeler qu’à cette époque RESF par ses appels à la désobéissance et à la «résistance» face aux expulsions d’étrangers n’est pas vraiment dans les petits papiers du ministère.

En février 2007, Nicolas Sarkozy saisi le ministère de la Justice pour «outrage». À défaut de réponse,  Romain Dunand  est  interrogé par les gendarmes puis cité à comparaître par le parquet de Paris pour «outrage à personne dépositaire de l’autorité publique», une infraction passible de six mois d’emprisonnement et 7.500 euros d’amende.

L’affaire est examinée le 17 janvier, au cours de l’audience de la 10e chambre du tribunal de Grande instance de Paris. Le militant, droit dans ses bottes reconnaît être l’auteur du message, mais pas son caractère outrageant. Il estime ses écrits légitimes à partir du moment où il y avait «similitude entre la politique d’expulsions massives de sans-papiers et celle de Vichy». Pour son avocate qui a plaidé la relaxe, «c’était une politique qui était visée, pas une personne».

À l’inverse, la représentante du parquet a estimé que «la liberté d’expression a des limites : c’est l’outrage» avant de requérir une amende de 750 euros et un euro symbolique de dommages et intérêts à l’encontre de Romain Dunand. L’avocat de l’ancien ministre ne réclamait pourtant qu’un euro de dommages et intérêts. Épilogue le 14 février.

Interviewé par le site Rue 89, Romain Dunand raconte: «Au départ, j’ai presque cru à un canular. Les faits remontaient à plus de six mois, et l’affaire est ressortie le 11 mai […]. C’est-à-dire justement la semaine où Nicolas Sarkozy a été élu à l’Élysée.»

Les suites judiciaires au courriel sont d’autant plus surprenantes que le courrier n’était pas anonyme et qu’il ne constitue pas une injure publique dans la mesure où il avait un destinataire précis. Le délit d’outrage «politique» est à juste titre assimilé à des régimes politiques peu démocratiques qui abusent de ce moyen pour museler des opinions publiques ou des journalistes un peu trop bavards et irrespectueux.

L’outrage constitue la version moderne du crime de lèse-majesté combattu au siècle des Lumières. «S’il est un point d’accord entre partisans et adversaires des Lumières, c’est bien la certitude que les idées ont une force et que les livres changent le monde» stipule Michel Delon, dans son ouvrage Subversion littéraire, subversion politique : des Lumières à la Révolution.

L’histoire, éternel recommencement. Cicéron déjà écrivait : «Il y a lèse-majesté, car il a osé renverser et emporter les souvenirs de notre domination.»

Henry Moreigne
La Mouette, 30 janvier 2008



Voir aussi,
Condamnation de Romain pour outrage (CNT-FTE, 15/2/08)
L’État contre les soutiens aux sans papiers (RESF, 19/1/08)
Bas les pattes sur Romain ! La solidarité n’est pas un délit ! (CNT39, 7/1/08)

Condamné pour avoir comparé la politique de Sarkozy à Vichy (Le 69.3, 18/02/08)
Mail envoyé au président Sarkozy (Nadadanarchist, 17/2/08)
Romain Dunand condamné, Sarkozy court toujours (Les mots ont un sens, 15/2/08)
L’attaché de Mariani par mail : «Elsa, on répond à ce con?» (Jean-Jacques Reboux, 4/2/08)
Outrage ou retour du crime de lèse-majesté ? (La Mouette, 30/1/08)
Jugé pour avoir comparé Sarkozy à Pétain (Rue89, 22/1/08)
L’outrage et loup trash (Jimmy Gladiator, 19/1/08)

Soutiens menacés (RESF)

Pierre-Arnaud PERROUTY sur la Belgique docile (février 2007)
Emmanuel TERRAY sur les rafles de 1942 & celles de 2006 (octobre 2006)
Maurice RAJSFUS sur la rafle de Cachan (septembre 2006)

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