Bilan du mouvement social de l'automne 2007
Vers une globalisation des luttes
Le mouvement social de l’automne 2007 intervient après des années marquées par des mobilisations très sectorisées et défensives. Le dernier mouvement qui avait mobilisé les services publics, notamment l’Éducation Nationale, en 2003 s’est soldé par un échec qui a laissé un goût amer à beaucoup de gens. Les journées de grève isolées, qui ne permettent pas d’établir un rapport de force, génèrent de plus en plus de lassitude.
En 2005, les révoltes violentes des banlieues ont témoigné d’un malaise social qui déborde. Finalement, le mouvement étudiant de 2006 contre le CPE a permis de voir une mobilisation finir par au moins un acquis, le retrait du CPE, tout en laissant la problématique de la précarisation des contrats de travail intacte.
Depuis plus de vingt ans, les acquis sociaux, obtenus après-guerre grâce à la lutte, reculent progressivement sous le coup des politiques libérales.
Les attaques sont évidemment économiques : salaires, dégradation des services publics, solidarité sociale, etc. Mais elles touchent aussi à de nombreux aspects des libertés individuelles et collectives : logique répressive accrue, criminalisation croissante des mouvements sociaux, attaques au droit de grève et à la liberté syndicale, etc.
Toutes ces mesures ont fait l’objet d’une préparation médiatique intense visant à faire intégrer à l’opinion publique l’aspect prétendument incontournable de ces réformes anti-sociales : trou de la sécu, «problème» du vieillissement de la population lié aux retraites, impossibilité pour les entreprises ou pour l’État d’augmenter les salaires…
Dans ce contexte, l’essentiel des luttes menées se fait sur un mode défensif (essayer d’empêcher des reculs sociaux), ce qui n’est déjà pas très satisfaisant lorsqu’on aspire à vivre dans un «monde meilleur».
De plus, l’issue de ces luttes est rarement gratifiante, à quelques exceptions près. Pendant ce temps, le rouleau compresseur libéral continue sa besogne à un rythme de plus en plus soutenu.
En parallèle, l’idée selon laquelle tout cela serait inexorable est matraquée à longueur de temps et finit par imprégner les esprits. C’est ainsi qu’on entend des jeunes affirmer qu’ils ne connaîtront de toute façon pas de retraite.
Serions-nous donc en train de «toucher le fond», ou en tout cas de l’approcher ? En effet, les raisons de s’inquiéter ne manquent pas. Mais le mouvement social de cet automne a mis aussi en relief un certain nombre d’évolutions qu’il nous semble important de pointer.
L’aspect interprofessionnel tout d’abord : Lors de la journée de grève du 20 novembre, les fonctionnaires se sont mobilisés mais également des salariés du secteur privé (Yoplait par exemple). D’autre part il y a eu des contacts significatifs entre les étudiants en lutte et des salariés en grève. L’émergence de champs de revendications communes : salaires, défense des services publics et du système de protection sociale, refus des dérives sécuritaires, soutien aux sans-papiers, etc. Les politiques libérales ont dans chaque branche des répercussions spécifiques mais c’est bien la même logique qui génère tous ces reculs.
Le développement de pratiques autogestionnaires : C’est sans doute chez les étudiants que ce constat est le plus frappant. On peut citer notamment l’existence de cantines autogérées à prix libre sur des campus, la gestion des assemblées générales (prise de parole, décisions collectives), la capacité à garder le contrôle de la coordination nationale étudiante malgré les tentatives répétées de l’Unef d’en prendre seule les rênes, la dynamique d’ouverture vers les salariés en grève, etc. Le mouvement étudiant montre clairement que la globalisation des revendications permet aux pratiques de s’ouvrir elles aussi vers la force collective.
Les critiques de plus en plus ouvertes des salarié-e-s à l’égard des bureaucraties syndicales : de nombreux exemples pourraient être cités, on ne retiendra que celui de Chérèque quittant en courant la manifestation parisienne le 20 novembre, sous les huées. La prise de conscience de plus en plus affirmée que les grandes confédérations syndicales font tout ce qu’elles peuvent pour éviter un mouvement social d’ampleur et pour limiter au maximum les démarches intersectorielles. Cette stratégie syndicale n’est pas nouvelle mais elle est de plus en plus sensible à mesure que la colère gronde plus fort. La CGT elle-même s’est vue contrainte à quelques grand-écarts pour manifester son désir de négociation avec le gouvernement tout en ayant l’air de ménager «la base».
De ces constats, nous pouvons dégager l’analyse que la plupart des organisations politiques et syndicales existantes aujourd’hui ne paraissent plus constituer une représentation fidèle des contestations et des expérimentations en cours. L’heure n’est plus au «grand parti» fédérateur. Depuis sa claque électorale de 2002, le PS stagne dans le marasme. Le PC ne représente quasiment plus rien, y compris électoralement. La LCR, si elle cristallise quelques voix contestataires, reste dans une logique électoraliste et de refondation d’une nouvelle gauche dont il n’y a rien à attendre.
Car le mouvement social de notre époque est multiple, l’engagement militant s’exprime à travers une multitude de collectifs, associations, lieux d’activités, réseaux de soutien, médias alternatifs, etc. Cette diversité est une richesse car elle permet l’expérimentation par chacun-e de fonctionnements alternatifs et favorise l’expression des individus au sein de chaque groupe.
L’enjeu des prochaines mobilisations sociales réside dans la capacité collective à unir nos luttes et nos forces pour imposer d’autres choix de société. Il est nécessaire de dépasser le stade des revendications sectorielles où chacun défend son petit pré-carré pour le plus grand bonheur de ceux qui détiennent la politique et les finances. Nous subissons tous et toutes la même logique, et si nous nous groupons, nous pouvons obtenir des avancées sociales.
Les prochaines luttes porteront essentiellement sur la question des salaires. Nous insistons sur le terme «salaire», qui ne renvoie pas à la même chose que le terme «pouvoir d’achat» tant utilisé dans les médias. Parler de salaire fait référence au système du salariat, dans lequel il y a d’un côté le patron et de l’autre le salarié, obligé de vendre sa force de travail pour un salaire inférieur à ce qu’il produit réellement. Parler de pouvoir d’achat nie cette réalité de classe et laisse croire que le salarié a un «pouvoir» (lequel d’ailleurs, celui de sur-consommer des produits souvent inutiles et presque toujours polluants ?)
D’autre part, la question des salaires intègre celle de la répartition des richesses, y compris le salaire que l’on appelle «indirect» : les retraites, la Sécu, les aides au logement, etc.
De nouvelles journées de grève sont d’ores et déjà prévues en janvier, nous ne pouvons que souhaiter qu’elles continuent dans le sens de la globalisation et de l’unité.
Le mouvement social de l’automne 2007 intervient après des années marquées par des mobilisations très sectorisées et défensives. Le dernier mouvement qui avait mobilisé les services publics, notamment l’Éducation Nationale, en 2003 s’est soldé par un échec qui a laissé un goût amer à beaucoup de gens. Les journées de grève isolées, qui ne permettent pas d’établir un rapport de force, génèrent de plus en plus de lassitude.
En 2005, les révoltes violentes des banlieues ont témoigné d’un malaise social qui déborde. Finalement, le mouvement étudiant de 2006 contre le CPE a permis de voir une mobilisation finir par au moins un acquis, le retrait du CPE, tout en laissant la problématique de la précarisation des contrats de travail intacte.
Depuis plus de vingt ans, les acquis sociaux, obtenus après-guerre grâce à la lutte, reculent progressivement sous le coup des politiques libérales.
Les attaques sont évidemment économiques : salaires, dégradation des services publics, solidarité sociale, etc. Mais elles touchent aussi à de nombreux aspects des libertés individuelles et collectives : logique répressive accrue, criminalisation croissante des mouvements sociaux, attaques au droit de grève et à la liberté syndicale, etc.
Toutes ces mesures ont fait l’objet d’une préparation médiatique intense visant à faire intégrer à l’opinion publique l’aspect prétendument incontournable de ces réformes anti-sociales : trou de la sécu, «problème» du vieillissement de la population lié aux retraites, impossibilité pour les entreprises ou pour l’État d’augmenter les salaires…
Dans ce contexte, l’essentiel des luttes menées se fait sur un mode défensif (essayer d’empêcher des reculs sociaux), ce qui n’est déjà pas très satisfaisant lorsqu’on aspire à vivre dans un «monde meilleur».
De plus, l’issue de ces luttes est rarement gratifiante, à quelques exceptions près. Pendant ce temps, le rouleau compresseur libéral continue sa besogne à un rythme de plus en plus soutenu.
En parallèle, l’idée selon laquelle tout cela serait inexorable est matraquée à longueur de temps et finit par imprégner les esprits. C’est ainsi qu’on entend des jeunes affirmer qu’ils ne connaîtront de toute façon pas de retraite.
Serions-nous donc en train de «toucher le fond», ou en tout cas de l’approcher ? En effet, les raisons de s’inquiéter ne manquent pas. Mais le mouvement social de cet automne a mis aussi en relief un certain nombre d’évolutions qu’il nous semble important de pointer.
L’aspect interprofessionnel tout d’abord : Lors de la journée de grève du 20 novembre, les fonctionnaires se sont mobilisés mais également des salariés du secteur privé (Yoplait par exemple). D’autre part il y a eu des contacts significatifs entre les étudiants en lutte et des salariés en grève. L’émergence de champs de revendications communes : salaires, défense des services publics et du système de protection sociale, refus des dérives sécuritaires, soutien aux sans-papiers, etc. Les politiques libérales ont dans chaque branche des répercussions spécifiques mais c’est bien la même logique qui génère tous ces reculs.
Le développement de pratiques autogestionnaires : C’est sans doute chez les étudiants que ce constat est le plus frappant. On peut citer notamment l’existence de cantines autogérées à prix libre sur des campus, la gestion des assemblées générales (prise de parole, décisions collectives), la capacité à garder le contrôle de la coordination nationale étudiante malgré les tentatives répétées de l’Unef d’en prendre seule les rênes, la dynamique d’ouverture vers les salariés en grève, etc. Le mouvement étudiant montre clairement que la globalisation des revendications permet aux pratiques de s’ouvrir elles aussi vers la force collective.
Les critiques de plus en plus ouvertes des salarié-e-s à l’égard des bureaucraties syndicales : de nombreux exemples pourraient être cités, on ne retiendra que celui de Chérèque quittant en courant la manifestation parisienne le 20 novembre, sous les huées. La prise de conscience de plus en plus affirmée que les grandes confédérations syndicales font tout ce qu’elles peuvent pour éviter un mouvement social d’ampleur et pour limiter au maximum les démarches intersectorielles. Cette stratégie syndicale n’est pas nouvelle mais elle est de plus en plus sensible à mesure que la colère gronde plus fort. La CGT elle-même s’est vue contrainte à quelques grand-écarts pour manifester son désir de négociation avec le gouvernement tout en ayant l’air de ménager «la base».
De ces constats, nous pouvons dégager l’analyse que la plupart des organisations politiques et syndicales existantes aujourd’hui ne paraissent plus constituer une représentation fidèle des contestations et des expérimentations en cours. L’heure n’est plus au «grand parti» fédérateur. Depuis sa claque électorale de 2002, le PS stagne dans le marasme. Le PC ne représente quasiment plus rien, y compris électoralement. La LCR, si elle cristallise quelques voix contestataires, reste dans une logique électoraliste et de refondation d’une nouvelle gauche dont il n’y a rien à attendre.
Car le mouvement social de notre époque est multiple, l’engagement militant s’exprime à travers une multitude de collectifs, associations, lieux d’activités, réseaux de soutien, médias alternatifs, etc. Cette diversité est une richesse car elle permet l’expérimentation par chacun-e de fonctionnements alternatifs et favorise l’expression des individus au sein de chaque groupe.
L’enjeu des prochaines mobilisations sociales réside dans la capacité collective à unir nos luttes et nos forces pour imposer d’autres choix de société. Il est nécessaire de dépasser le stade des revendications sectorielles où chacun défend son petit pré-carré pour le plus grand bonheur de ceux qui détiennent la politique et les finances. Nous subissons tous et toutes la même logique, et si nous nous groupons, nous pouvons obtenir des avancées sociales.
Les prochaines luttes porteront essentiellement sur la question des salaires. Nous insistons sur le terme «salaire», qui ne renvoie pas à la même chose que le terme «pouvoir d’achat» tant utilisé dans les médias. Parler de salaire fait référence au système du salariat, dans lequel il y a d’un côté le patron et de l’autre le salarié, obligé de vendre sa force de travail pour un salaire inférieur à ce qu’il produit réellement. Parler de pouvoir d’achat nie cette réalité de classe et laisse croire que le salarié a un «pouvoir» (lequel d’ailleurs, celui de sur-consommer des produits souvent inutiles et presque toujours polluants ?)
D’autre part, la question des salaires intègre celle de la répartition des richesses, y compris le salaire que l’on appelle «indirect» : les retraites, la Sécu, les aides au logement, etc.
De nouvelles journées de grève sont d’ores et déjà prévues en janvier, nous ne pouvons que souhaiter qu’elles continuent dans le sens de la globalisation et de l’unité.
Pour avoir la liberté et l’égalité
C’est la société qu’il faut changer !
C’est la société qu’il faut changer !
Groupe Kronstadt (Lyon) de la CGA
Infos et analyses libertaires no 69, janvier-février 2008
Bimestriel de la Coordination des groupes anarchistes
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Bimestriel de la Coordination des groupes anarchistes