Quand Raymond Forni défendait les faux papiers
Quand Raymond Forni, futur président de l’Assemblée, défendait les faux papiers
Raymond Forni, qui vient de décéder, s’était entre autres illustré en défendant, à plusieurs reprises, la fabrication de faux papiers.
Une position qu’il revendiquait au nom de la défense de la vie privée, et donc de nos libertés (il n’y a pas de libertés sans vie privée, et vice et versa).
Un sujet qu’il connaissait d’autant mieux qu’il est considéré comme le «père inspiré d’Informatique et libertés» : il fut ainsi, par trois fois, élu vice-président de la CNIL entre 1981 et l’an 2000, un poste qu’il quitta lorsqu’il fut élu président de l’Assemblée Nationale.
En 1980, évoquant le projet du ministère de l’Intérieur de traitement automatisé des cartes nationales d’identité et, dans la foulée, les titres de séjour des étrangers, Raymond Forni déclarait que «Rien n’a jamais été réalisé d’approchant en France si ce n’est au détriment des Juifs pendant la dernière guerre».
La carte d’identité de Français avait été généralisée, sous Pétain, en 1940. En 1942, on y apposait également la mention «Juif». Abandonnée à la Libération, elle est réinstaurée en 1955 afin de contrôler les français musulmans d’Algérie.
Aujourd’hui encore, ces lois, votées du temps de Vichy, la collaboration et la colonisation, servent encore de textes de base à notre carte nationale d’identité.
La Résistance, du temps du nazisme comme de la guerre d’Algérie, n’aurait jamais pu œuvrer sans fabriquer de faux papiers, ou falsifier des cartes d’identité.
Ce que Raymond Forni reconnu, et vanta d’ailleurs ainsi : «Dans une démocratie, je considère qu’il est nécessaire que subsiste un espace de possibilité de fraude. Si l’on n’avait pas pu fabriquer de fausses cartes d’identité pendant la guerre, des dizaines de milliers d’hommes et de femmes auraient été arrêtés, déportés, sans doute morts. J’ai toujours été partisan de préserver ce minimum d’espace sans lequel il n’y a pas de véritable démocratie.»
Au-delà de la seule défense de nos libertés, et de la démocratie, que semblent avoir oublié la (quasi ?) totalité des hommes politiques contemporains, Raymond Forni luttait aussi contre la lubie sécuritaire d’un point de vue bien plus pragmatique : «La thèse de l’infalsifiabilité comme moyen de lutte contre le terrorisme doit être ramenée à sa juste valeur. Faut-il rappeler que la carte nationale d’identité est — et demeure — facultative et que le terrorisme international se nourrit plus de faux passeports, voire de passeports de complaisance délivrés dans des conditions dont la diplomatie a le secret ?» [Rapport rédigé par Raymond Forni sur le projet «Fabrication de la Carte nationale d’identité» déposé à la CNIL par le ministère de l’Intérieur le 12 mars 1980.]
Une thèse qui a depuis été relayée, à ma grande surprise, par deux spécialistes des papiers d’identité à qui j’étais censé, à la télé, donné la claque et défendre nos libertés. Syndicaliste policier et universitaire sécuritaire, ils reconnurent sans difficulté que les papiers (passeports, cartes d’identités) biométriques et électroniques «sécurisés» et soit-disant «infalsifiables» étaient loin de pouvoir remplir la mission qui leur est impartie, et que je n’avais pas tort d’avancer que «les terroristes réussiront à avoir de faux passeports biométriques, les criminels en cols blancs et les mafieux, eux aussi auront les moyens d’acheter de vrais-faux passeports, les espions également, donc ce pour quoi a initialement été conçu tout cet arsenal sécuritaire, ne va pas fonctionner».
À défaut d’entendre la défense et illustration de la Résistance, donc de la démocratie, et donc des faux-papiers, on peut espérer que les politiques qui, aujourd’hui et parce qu’il vient de décéder, vantent l’indépendance et la qualité de la pensée de Raymond Forni, entendront un jour cet argument qui ne relève jamais que du bon sens.
Raymond Forni, qui vient de décéder, s’était entre autres illustré en défendant, à plusieurs reprises, la fabrication de faux papiers.
Une position qu’il revendiquait au nom de la défense de la vie privée, et donc de nos libertés (il n’y a pas de libertés sans vie privée, et vice et versa).
Un sujet qu’il connaissait d’autant mieux qu’il est considéré comme le «père inspiré d’Informatique et libertés» : il fut ainsi, par trois fois, élu vice-président de la CNIL entre 1981 et l’an 2000, un poste qu’il quitta lorsqu’il fut élu président de l’Assemblée Nationale.
En 1980, évoquant le projet du ministère de l’Intérieur de traitement automatisé des cartes nationales d’identité et, dans la foulée, les titres de séjour des étrangers, Raymond Forni déclarait que «Rien n’a jamais été réalisé d’approchant en France si ce n’est au détriment des Juifs pendant la dernière guerre».
La carte d’identité de Français avait été généralisée, sous Pétain, en 1940. En 1942, on y apposait également la mention «Juif». Abandonnée à la Libération, elle est réinstaurée en 1955 afin de contrôler les français musulmans d’Algérie.
Aujourd’hui encore, ces lois, votées du temps de Vichy, la collaboration et la colonisation, servent encore de textes de base à notre carte nationale d’identité.
La Résistance, du temps du nazisme comme de la guerre d’Algérie, n’aurait jamais pu œuvrer sans fabriquer de faux papiers, ou falsifier des cartes d’identité.
Ce que Raymond Forni reconnu, et vanta d’ailleurs ainsi : «Dans une démocratie, je considère qu’il est nécessaire que subsiste un espace de possibilité de fraude. Si l’on n’avait pas pu fabriquer de fausses cartes d’identité pendant la guerre, des dizaines de milliers d’hommes et de femmes auraient été arrêtés, déportés, sans doute morts. J’ai toujours été partisan de préserver ce minimum d’espace sans lequel il n’y a pas de véritable démocratie.»
Au-delà de la seule défense de nos libertés, et de la démocratie, que semblent avoir oublié la (quasi ?) totalité des hommes politiques contemporains, Raymond Forni luttait aussi contre la lubie sécuritaire d’un point de vue bien plus pragmatique : «La thèse de l’infalsifiabilité comme moyen de lutte contre le terrorisme doit être ramenée à sa juste valeur. Faut-il rappeler que la carte nationale d’identité est — et demeure — facultative et que le terrorisme international se nourrit plus de faux passeports, voire de passeports de complaisance délivrés dans des conditions dont la diplomatie a le secret ?» [Rapport rédigé par Raymond Forni sur le projet «Fabrication de la Carte nationale d’identité» déposé à la CNIL par le ministère de l’Intérieur le 12 mars 1980.]
Une thèse qui a depuis été relayée, à ma grande surprise, par deux spécialistes des papiers d’identité à qui j’étais censé, à la télé, donné la claque et défendre nos libertés. Syndicaliste policier et universitaire sécuritaire, ils reconnurent sans difficulté que les papiers (passeports, cartes d’identités) biométriques et électroniques «sécurisés» et soit-disant «infalsifiables» étaient loin de pouvoir remplir la mission qui leur est impartie, et que je n’avais pas tort d’avancer que «les terroristes réussiront à avoir de faux passeports biométriques, les criminels en cols blancs et les mafieux, eux aussi auront les moyens d’acheter de vrais-faux passeports, les espions également, donc ce pour quoi a initialement été conçu tout cet arsenal sécuritaire, ne va pas fonctionner».
À défaut d’entendre la défense et illustration de la Résistance, donc de la démocratie, et donc des faux-papiers, on peut espérer que les politiques qui, aujourd’hui et parce qu’il vient de décéder, vantent l’indépendance et la qualité de la pensée de Raymond Forni, entendront un jour cet argument qui ne relève jamais que du bon sens.
Jean-Marc Manach
Rewriting.net, 6 janvier 2008
Rewriting.net, 6 janvier 2008