L'angoisse du journaliste au moment de l'AG étudiante
Ils en auront bavé nos journalistes, ils se seront fait malmener nos localiers, ils auront eu peur nos faits-diveristes. Le mouvement étudiant n’a pas été tendre avec les plumitifs en les tenant à l’écart des assemblées générales et les empêchant de faire leur taf. Entrave au droit de l’information ou prise de conscience de l’instrumentalisation de l’information ?
Le 18 novembre, un affligeant magazine de M6 proposait de suivre un reportage consacré à la fac occupée de Rennes 2. «Une équipe de 66 Minutes a passé la semaine au cœur d’une université prise en otage» annonçait le site de la chaîne. On s’attendait donc à voir une équipe de 66 Minutes passer la semaine au cœur d’une université prise en otage. Et pourquoi pas, si c’était la vérité ? Le hic, c’est que l’équipe en question faisait une brève incursion caméra cachée dans le hall B du campus, suivait ici les CRS, là le président de l’université, interviewait quelques anti-bloqueurs et qu’en guise de semaine passée au cœur de l’université, on apprenait peau d’balle sur les activistes «preneurs d’otage», sur l’organisation du mouvement ou sur les enjeux d’une telle contestation. Car le traitement du mouvement contre la loi Pécresse — et, ne soyons pas naïfs : de l’actualité en général — n’a été bien souvent que recherches de sensationnalisme. Il suffisait de suivre la manifestation qui a arpenté le centre ville de Rennes, jeudi 15 novembre, pour s’émerveiller devant le professionnalisme des journalistes qui suivaient les manifestants, en groupe, en discutant de la pluie et du beau temps, fumant une petite cigarette par là, faisant une blague par ici, tout en attendant l’image choc qui ne tarda pas à arriver : lorsque les forces de l’ordre dispersèrent la manifestation devant le centre commercial Colombia, les journalistes bondirent — comme la vérole sur le bas clergé — et l’on vit les mêmes photos, les mêmes images assorties des mêmes commentaires dans tous les journaux du soir et du matin suivants. Et aucune explication de fond.
Nos amis les journalistes s’étonnent donc à présent que les étudiants qui bloquent la fac de Villejean les empêchent d’assister aux assemblées générales ou même de prendre des images. Certains déclarent que «ce n’est pas Bagdad mais» mais qu’ils vont travailler «la peur au ventre». À quand des gilets pare-balles distribués aux correspondant locaux de Ouest-France ? Il ne s’agit évidemment pas de souhaiter qu’un contrôle, quel qu’il soit, s’exerce sur les médias — qu’il vienne des sphères politiques et économiques ou même des manifestants —, mais on est quand même en droit de partager le ras-le-bol des grévistes.
Du côté de la Section Rennaise de l’Internationale Sardonique (SRIS), le collectif qui diffuse le journal de critique des médias Le Plan B, on sourit des inquiétudes des médias traditionnels : «Qu’est-ce que diraient les journalistes si des étudiants exigeaient d’être présents lors de leur conférence de rédaction ? Peut-être que les bloqueurs de la fac veulent simplement débattre sans être sous l’œil de leurs caméras.»
Mais ce changement de ton à l’égard de la presse ne passe pas car le journaliste du coin s’étonne qu’on l’empêche de «faire simplement son boulot». L’entrave à la liberté de la presse n’est pas loin, la violence physique non plus. La preuve : des œufs ont été lancés sur des cameramen le 22 novembre dernier et des jeunes manifestants ont hurlé des «Ouest-France collabo» sous les bureaux de la rédaction du journal le plus lu de France. De véritables graines de terroristes !
Pourtant, ce rapport désormais conflictuel entre médias «dominants» et grévistes serait à relier à un mouvement plus ample. Ainsi on observe également une défiance nouvelle de la base vis-à-vis des cadres syndicaux et politiques. Lorsque Bernard Thibault ne parvient pas à forcer les encartés de la CGT cheminots à reprendre le travail, lorsque Jean-François Chérèque, le boss de la CFDT doit calter de la récente manifestation parisienne des fonctionnaires sous les cris de «Chérèque traitre», lorsque les électeurs du PS votent en majorité contre le référendum européen et en désavouant la direction du parti — celle-là n’ayant d’ailleurs d’autres politesse que d’accepter, deux ans plus tard, le mini-traité simplifié concocté par Sarkozy —, on voit bien que les sans-grades commencent à en avoir soupé de l’allégeance de leurs représentants vis-à-vis du gouvernement. Une vraie rupture s’annonce en effet entre les forces jusqu’alors considérées (on se demande d’ailleurs par quel tour de passe-passe) comme protectrices des plus pauvres et des précaires et qui se drapaient avec fierté dans cette posture, soit les partis de gauche, les syndicats et les médias «objectifs», et ces pauvres et précaires là. D’ailleurs, il serait démagogique de croire que seuls les pauvres et les précaires prennent conscience de l’imposture comme il serait démagogique de croire que les mouvements sociaux actuels ne concernent que les plus pauvres et les plus précaires.
Le métier de journaliste n’est pas anodin, celui qui l’exerce à l’époque de l’argent roi doit accepter d’être le vecteur d’un message et d’une idéologie, et de répondre aujourd’hui aux exigences de grands groupes économiques qui préfèrent investir leurs bénéfices dans des journaux gratuits remplis jusqu’à la gueule de publicité. On n’est pas journaliste comme on est conducteur de train ou garçon de café et se raccrocher à la sacro-sainte et pourtant impossible objectivité pour se dédouaner de son appartenance à des journaux financés par des marchands d’armes, ça eut peut-être marché, mais ça ne marche plus.
Le 18 novembre, un affligeant magazine de M6 proposait de suivre un reportage consacré à la fac occupée de Rennes 2. «Une équipe de 66 Minutes a passé la semaine au cœur d’une université prise en otage» annonçait le site de la chaîne. On s’attendait donc à voir une équipe de 66 Minutes passer la semaine au cœur d’une université prise en otage. Et pourquoi pas, si c’était la vérité ? Le hic, c’est que l’équipe en question faisait une brève incursion caméra cachée dans le hall B du campus, suivait ici les CRS, là le président de l’université, interviewait quelques anti-bloqueurs et qu’en guise de semaine passée au cœur de l’université, on apprenait peau d’balle sur les activistes «preneurs d’otage», sur l’organisation du mouvement ou sur les enjeux d’une telle contestation. Car le traitement du mouvement contre la loi Pécresse — et, ne soyons pas naïfs : de l’actualité en général — n’a été bien souvent que recherches de sensationnalisme. Il suffisait de suivre la manifestation qui a arpenté le centre ville de Rennes, jeudi 15 novembre, pour s’émerveiller devant le professionnalisme des journalistes qui suivaient les manifestants, en groupe, en discutant de la pluie et du beau temps, fumant une petite cigarette par là, faisant une blague par ici, tout en attendant l’image choc qui ne tarda pas à arriver : lorsque les forces de l’ordre dispersèrent la manifestation devant le centre commercial Colombia, les journalistes bondirent — comme la vérole sur le bas clergé — et l’on vit les mêmes photos, les mêmes images assorties des mêmes commentaires dans tous les journaux du soir et du matin suivants. Et aucune explication de fond.
Nos amis les journalistes s’étonnent donc à présent que les étudiants qui bloquent la fac de Villejean les empêchent d’assister aux assemblées générales ou même de prendre des images. Certains déclarent que «ce n’est pas Bagdad mais» mais qu’ils vont travailler «la peur au ventre». À quand des gilets pare-balles distribués aux correspondant locaux de Ouest-France ? Il ne s’agit évidemment pas de souhaiter qu’un contrôle, quel qu’il soit, s’exerce sur les médias — qu’il vienne des sphères politiques et économiques ou même des manifestants —, mais on est quand même en droit de partager le ras-le-bol des grévistes.
Du côté de la Section Rennaise de l’Internationale Sardonique (SRIS), le collectif qui diffuse le journal de critique des médias Le Plan B, on sourit des inquiétudes des médias traditionnels : «Qu’est-ce que diraient les journalistes si des étudiants exigeaient d’être présents lors de leur conférence de rédaction ? Peut-être que les bloqueurs de la fac veulent simplement débattre sans être sous l’œil de leurs caméras.»
Mais ce changement de ton à l’égard de la presse ne passe pas car le journaliste du coin s’étonne qu’on l’empêche de «faire simplement son boulot». L’entrave à la liberté de la presse n’est pas loin, la violence physique non plus. La preuve : des œufs ont été lancés sur des cameramen le 22 novembre dernier et des jeunes manifestants ont hurlé des «Ouest-France collabo» sous les bureaux de la rédaction du journal le plus lu de France. De véritables graines de terroristes !
Pourtant, ce rapport désormais conflictuel entre médias «dominants» et grévistes serait à relier à un mouvement plus ample. Ainsi on observe également une défiance nouvelle de la base vis-à-vis des cadres syndicaux et politiques. Lorsque Bernard Thibault ne parvient pas à forcer les encartés de la CGT cheminots à reprendre le travail, lorsque Jean-François Chérèque, le boss de la CFDT doit calter de la récente manifestation parisienne des fonctionnaires sous les cris de «Chérèque traitre», lorsque les électeurs du PS votent en majorité contre le référendum européen et en désavouant la direction du parti — celle-là n’ayant d’ailleurs d’autres politesse que d’accepter, deux ans plus tard, le mini-traité simplifié concocté par Sarkozy —, on voit bien que les sans-grades commencent à en avoir soupé de l’allégeance de leurs représentants vis-à-vis du gouvernement. Une vraie rupture s’annonce en effet entre les forces jusqu’alors considérées (on se demande d’ailleurs par quel tour de passe-passe) comme protectrices des plus pauvres et des précaires et qui se drapaient avec fierté dans cette posture, soit les partis de gauche, les syndicats et les médias «objectifs», et ces pauvres et précaires là. D’ailleurs, il serait démagogique de croire que seuls les pauvres et les précaires prennent conscience de l’imposture comme il serait démagogique de croire que les mouvements sociaux actuels ne concernent que les plus pauvres et les plus précaires.
Le métier de journaliste n’est pas anodin, celui qui l’exerce à l’époque de l’argent roi doit accepter d’être le vecteur d’un message et d’une idéologie, et de répondre aujourd’hui aux exigences de grands groupes économiques qui préfèrent investir leurs bénéfices dans des journaux gratuits remplis jusqu’à la gueule de publicité. On n’est pas journaliste comme on est conducteur de train ou garçon de café et se raccrocher à la sacro-sainte et pourtant impossible objectivité pour se dédouaner de son appartenance à des journaux financés par des marchands d’armes, ça eut peut-être marché, mais ça ne marche plus.
Le Clébard à sa mémère no 18, 22 décembre 2007